Le déchu avait trouvé de très intéressantes informations dans ses livres et les rares -et ô combien précieux- parchemins issus des mondes célestes qu'il avait pu amasser. Il serait possible, en modifiant le Sigil et le sceau d'un Ange d'en pervertir les pouvoirs. Certes, cela se ferait nécessairement dans une mesure raisonnable, mais cette idée qu'il avait pris soin de garder secrète -il ne tenait pas à ce qu'on lui en vole la palme- avait fait son chemin dans son esprit et après ce qui équivalait à plusieurs décénies humaines de réflexion et de mise au point, il se rendit dans les limbes à la recherche d'un cobaye... bien particulier.

Tapi dans la grande médiane dans les ombres d'un rocher dérivant sur l'une des plus grosses veines de feu, il gardait son aura ramassée en lui-même afin de ne pas se faire apercevoir. Il arrivait en territoire angélique et allait pouvoir se mettre en chasse. C'était un fort heureux hasard qui avait fait qu'Azriel, habituellement en mission sur Terre, soit dépêché dans cet endroit de conflits où il était en danger, car l'ange n'était certainement pas du type guerrier.

Le déchu se faufila à travers les premières lignes ennemies à la recherche de sa proie, mais se vit contraint d'utiliser une ruse dangereuse pour l'amener à lui. Il s'installa encore plus dans les ombres, se grandes ailes aux plumes couleur de sang irisées de bleu nuit ou d'écarlate comme un cocon autour de lui, le fondant dans la roche ferrugineuse et rougeoyante.

Et il fait une chose qu'il aurait pensé ne plus jamais avoir à faire: il pria. Il se souvenait encore du mode d'emploi et dirigea sa prière non pas vraiment vers Dieu, mais vers l'ange qu'il souhaitait faire venir à lui. Le reste reposait sur la curiosité de celui qui était en fait son ancien supérieur.

Murmure à peine audible, il psalmodiait:


Et... il attendit.

Le déchu suppliant n'eut pas à attendre bien longtemps car déjà l'ange qu'il avait appelé de ses voeux volait dans sa direction, mue par une curiosité teintée d'une certaine circonspection. Cette voix, qui formant une discordance sourde à ses multiples oreilles et lui picotait presque douloureusement le dos, il ne la connaissait que trop bien.

Prudent il se posa à proximité de l'endroit d'où il pensait qu'elle provenait, nimbé d'un nuage de plumes qu'il retenait prisonnier contre lui pour rester discret, son aura aussi scellée que possible. Il s'abaissa sitôt qu'il eut touché terre, en appui sur ses pieds comme sur ses mains griffues et il huma l'air pour essayer de repérer le Déchu.

S'il redoutait une rouerie de la part de son célèbre ancien subordonné devenu grand dans sa déchéance il n'en montrait rien. Peut-être que quelque part il espérait quelque chose de cette possible entrevue...

- Laschariel ? appela-t-il, par souci de discrétion, trouvant cela peu judicieux de citer le nom d'un archidiable en pleine zone angélique.

Le déchu soupira intérieurement en entendant son nom d'ange. Bon, avec Azriel, c'était couru d'avance. Il déploya ses ailes avant de les ramener dans son dos. Il n'était vêtu que d'un pantalon et de bottes de cuir noir, une épée fine comme une aiguille à la taille, quelques couteaux de lancer de l'autre côté. Il s'avança à demi à découvert, et levant les mains, il montra ses intentions pacifistes. Du moins, ce qui était censé en être.

- Ici, Azriel. Veux-tu me suivre, je préfère ne pas traîner dans le coin, allons dans une zone neutre.

Oui, il y en avait encore quelques unes. Elles étaient rares, mais existantes. Il contourna le rocher qui l’abritait et s'envola, frôlant le sol où jaillissait parfois des geysers de lave plus fluide que de l'eau, en direction d'un endroit éloigné des deux camps et du champ de bataille.

L'ange se contenta de hocher de la tête, ses multiples oreilles dressées en direction du déchu dont il avait rapidement fait l'inventaire des armes. Lui de son côté était vêtu comme d'à son habitude en tout et pour tout d'une sorte de sarouel en tissu fluide blanc retenu par une longue ceinture d'étoffe plus épaisse dans laquelle était dissimulée Rempart, sa longue dague. Il allait nu pieds également, préférant comme toujours pouvoir sentir le sol fusse-t-il aussi peu agréable pour lui que celui des limbes.

Il s'envola à sa suite, relâchant par la même les multiples plumes à prières qui s'élevèrent vers les cieux où ses petites mains iraient les récupérer pour les traiter au service prières.

Une fois rejoint la zone neutre, le serafim se posa à distance de l'archidiable, environné d'une mince couche d'air comprimé en guise de bouclier, au cas où.

- Tu voulais me parler ? s'enquit-il, le ton neutre bien qu'y transparaisse sa curiosité.

Eloignés de toute forme de vie, Méphistiphélès avait le champ libre. Ou presque. Il avait préparé son attaque bien à l'avance. Il commença donc à tourner autour de l'ange pour le rabattre au centre d'un cercle que lui seul connaissait, et qui était le coeur de la toile d'araignée qui bientôt capturerais la Puissance.

Il rpit un air contrit et troublé.

- A dire vrai, je suis assez embêté. J'aurais besoin de ton aide, Azriel, mais je ne sais pas si tu me l'accordera de bonne volonté.

Allez, plus qu'un pas et il pouvait lâcher son pouvoir. Ah... non, en fait, c'était bon, illusion d'optique qui faillit le faire douter. Il laissa la glace se propulser au-dehors de son corps et un sceau s'activa, paralysant l'Ange et le menottant de liens élémentaires.

- Azriel... je ne veux pas te faire de mal, mais ta position implique qu'il faut que ce soit toi. En attendant... Il retira de sa poche un épais tissu noir qu'il apposa sur les yeux du Serafim prisonnier, Tu seras le premier et le dernier des tiens à être le bienvenu dans mes appartements à la Citadelle de Satan.

Il souleva avec délicatesse l'ange et s'envola, prenant soin de ne pas survoler les combats ni même son propre camp. Rentrer sans révéler la nature de son fardeau ne serait pas aisée, aussi demanda-t-il à l'ange de replier ses ailes, pour sa propre sécurité.

Az avait reculé oui lorsqu'il avait vu le démon s'approcher - pas fou l'ange - et s'était débrouillé pour ne pas finir acculé. Il avait juuuuste oublié un très, très léger détail : le Méphisto, c'était fourbe. Il sursauta et tira sur ses liens lorsque le sceau se déclencha mais se rendit vite compte qu'il n'arriverait pas à s'en défaire, même en jouant sur la compression de l'air....

- Tu as la manière de demander aussi... souligna le serafim en le regardant approcher, toutes ses oreilles dressées dans sa direction.

Trouille ? P'être mais la curiosité...
Il coucha les oreilles lorsqu'il fut aveuglé, et ouvrit la bouche pour protester lorsque le déchu lui annonça son programme, avant de la refermer dans un clac sonore lorsqu'il se sentit soulevé.

Vraiment, vraiment dommage qu'il ne puisse pas se servir de ses propres plumes pour les appels à l'aide... Il replia docilement ses grandes ailes et souffla à l'oreille de son ravisseur :

- Dis Mephi, tu plaisantais avec ces histoires d'Enfer... ?

Avant de décompresser violemment l'air autour de lui et d'ouvrir grand les ailes pour tenter de foutre le camp. Pas moyen qu'il serve de - il ne voulait même pas savoir quoi ! - aux démons chez Satan !

Le Méphisto est aussi taillé pour voler vite. Les ailes, très grandes, battaient l'air violemment et les propulsaient en avant aussi vite qu'il était possible au déchu d'aller. Aussi, à la petite attaque d'Azriel qui ne l'étonna qu'à moitié, il se contenta de tirer sur la chaine de glace et de l'enserrer d'un nouveau fer autour du corps. Peu importait que le bouclier d'air protège la peau du Serafim, le but était qu'il ne puisse plus s'échapper. Pour faire bonne mesure, ses chevilles et ses genoux furent aussi entravés.

- Allons, allons, Az', tu veux déjà me fausser compagnie? Nous sommes encore loin de la destination voulue, tu sais. Mais ne t'inquiète de rien, tu auras chez moi tout le confort dont tu puisses rêver, et je ne compte pas te partager. Maintenant rentre tes ailes avant que je ne décide de te les amputer.

Il ne plaisantait certainement pas. Leur vol stationnaire n'avait que trop duré, le déchu reprit de l'altitude -et tant pis pour le froid- et passa dans la zone des limbes inférieurs, anti-chambre de l'Enfer.

...

Parta... QUOI ?!

L'ange eut un gros, gros blanc et fut très tenté de se débattre comme un furieux - non il n'était pas assez innocent pour hélas ignorer le gros sous-entendu là dessous - mais l'ajout de liens de glace tout comme la menace de lui couper les ailes sembla tempérer momentanément ses velléités.

Il hésita un court instant puis rentra de nouveau ses ailes, augmentant la taille de son bouclier d'air pour s'en servir d'isolant lorsqu'ils arrivèrent à la zone des limbes inférieures en prévision de la chaleur atroce qui ne manquerait pas de l'assaillir si le démon allait jusqu'au bout de sa petite idée.

- C'est vraiment trop d'honneur Méphi, tu ne devrais pas, vraiment... souffla l'ange avec une touche d'humour en redressant les oreilles, la respiration sans doute un peu rapide.

Et voilà, un petit ange tout sage. Mais les anges sont toujours sages, sauf que bien sûr, cela dépend du point de vue. Le Déchu les préférait un peu rebelles mais il n'avait aucune chance là-dessus avec Azriel qui d'ailleurs interprétait tout seul de travers ses paroles. Bien que l'idée l'ait effleuré, la défleuraison d'ange n'était pas encore à l'ordre du jour. Mais proposé aussi gentiment, cela pouvait se négocier. Il augmenta encore la vitesse de son vol et se dit brièvement qu'il était heureux qu'il n'avaient pas à aller jusqu'à Méphistar à ce rythme là, car c'était hautement fatiguant. Il répondit en susurrant à l'oreille de l'ange, enfin, à l'une des oreilles qu'il avait bien envie de mordiller, pour voir.

- Ca me fait plaisir, Az. Vraiment, ne te tracasse pas pour ça, le dérangement est moindre en comparaison de nos jeux à venir...

Il fit bien exprès aussi de rester dans le registre ambigu. Ils passèrent les portes de l'enfer et le démon prit de la hauteur, frôlant le plafond des cavernes et porté par les vents forts et ascendants.

- Malheureusement, j'aurais aimé t'emmener jusqu'à Méphistar, mais je crains que ce ne sois pas possible. Le climat y aurait été plus approprié toutefois.

Il n'aimait pas Phlegethos où il avait l'impression de cuire en permanence. C'était vraiment un calvaire, ces les vents chauds, la lave, sans parler des bêtes aussi grosses que démonivores.

L'oreille devait avoir un instinct de survie indépendant de la volonté de l'ange gris parce qu'elle s'éloigna d'elle-même de la bouche du déchu. Les joues d'Az grissouillèrent, et il eut un rire un peu nerveux avant de déglutir.

Pourquoi lui, tiens ?

- Plaisanterie mise à part, tu as besoin de moi pour quoi ?

Il rentra instinctivement la tête dans les épaules lorsque Méphi rasa le plafond, tendant toutes ses oreilles vers l'avant en réprimant le profond malaise qu'il ressentait désormais. Là, il était complètement coupé de Dieu et ressentait cruellement cette perte, tout comme le silence profond dans lequel il se trouvait maintenant, ses oreilles ne captant plus aucune prière.

Ayé, seul.
En Enfer.

Heureusement qu'il était optimiste et savait que tout irait bien au final, parce que sinon il aurait sans doute très légèrement paniqué... Et ce n'était pas qu'à cause du climat, là.