"A ceux qui croient que Dieu est bon et grand, je répondrai qu’ils ont tort. Mais à ceux qui clament que Dieu est un despote, je répondrai qu’ils ont tort.
Avant tout, il faut savoir… Et je suis le seul qui sache car, mon nom est…"












" Sous la Blancheur il y a l'Ombre. Le Secret possède deux visages. Car Je suis Toi et Tu es Moi.
Le Mal, qui nous ronge, ne souillera jamais nos ailes. Dieu, dans sa miséricorde, nous protège."

Un râle rauque perturba tout à coup la nuit silencieuse à l’orée de Mexico – la ville jungle où l’ange avait atterrit quelques jours plus tôt. Sifflant, l’ovidien immaculé, qui glissait avec élégance à ses côtés, sembla acquiescer à sa question muette. Un corbeau croassa par trois fois : son cri rapportait l’outrageant massacre au pied du sapin sacré. L’herbe luisait d’un rouge sang. Puis, bientôt, des plumes noires aux reflets iridescents tombèrent comme la pluie. Le corvidé chut à son tour dans un bruit sourd, son œil éteint accusait son assassin. Raaziel s’essuya la bouche d’un vif revers de main. Ses riches vêtements de lin blanc du Nil étaient trempés d’un tiède liquide écarlate. Soucieux de sa mise, il se redressa, chassant, du bout de ses doigts griffus, quelques poussières imaginaires. Il resserra sa cravate – qu’il avait défaite pour manger. Cela exécuté, l'ange rajusta sa veste sur ses épaules étroites et, dans un affreux bruit de succion, passa la langue sur ses crocs et ses lèvres encore souillés de sang. Le goût de ce met-là ne valait pas grand-chose : Raaziel devait se rabattre sur des humains-pêcheurs de troisième classe, plus faciles à faire disparaitre, puisqu’il les trouvait en grappes entières dans les favelas. … Des oubliés de la société, et de Dieu. Il ne manquera à personne, pensa l’ange, alors que ses iris saphir détaillaient les restes épars d’un corps démembré. Il y avait là, quelque chose d’artistique, un admirable chaos sanglant.
« Je digère mal les yeux*, dit tout à coup une voix venue d’ailleurs. Pourquoi tu t’obstines à manger les yeux ?
- Ils étaient bleus. Je préfère quand ils sont noirs. Ou marrons. Ou verts. Mais pas bleus… Raaziel tentait de réprimer son dégoût cependant que la nourriture lui remontait à la gorge. Je vais vomir.
- Voilà, tu ne m’écoutes jamais. » Soupira l’étranger à la chétive créature qui, déjà, se penchait en avant, le ventre plié pour cracher deux globes oculaires.
Un bruissement d’étoffe, le claquement sourd d’une canne à l’extrémité renforcée de fer indiquèrent à l'ange que l'autre s'avançait encore. Le parfum entêtant de l’encens, du sang et de la mort, s’élevaient autour d’eux : rassemblement impromptu pour deux êtres que tout opposait et rapprochait à la fois. Raaziel frotta sa bouche d’un autre revers de manche, étouffant à peine un grognement contrarié. De longs doigts vinrent frôler sa joue ; ceux-là étaient terminés par des diamants aiguisés, auxquels on avait dessiné, en élégants tatouages chromés, des arabesques à la signification mystique. Raaziel leva les yeux et l'observa longuement. Sa peau luisait de sa propre lumière blanche et éthérée. De la même façon, le Secret Divin irradiait froidement. Lorsqu’il se redressa enfin, droit d’orgueil, leurs regards saphir, aux astérismes complexes, se rencontrèrent. Le soleil était à son zénith, qu’un imposant nuage gris de poussière, de pollution venait dissimuler. Un vent glacé traversa leurs corps longilignes et quasi fantomatiques. Un éclair frappa-t-il la Terre ? L’ourobore sentit ses écailles d’argent se dresser soudainement. Il émit un crépitement sinistre semblable à de la poudre sur du feu. Celui à qui le python blanc s’adressait rejeta sa question insultante d’un battement vif de la main.
« La ferme Thâ’em. Jura-t-il sans prendre la peine de se retourner vers l’insolant serpent. Ses prunelles, embrumées d'une poudre cendrées, rivées dans celles de son vis-à-vis ne tremblaient pas. Ses longs cils blancs soulignaient la froidure de son âme. Ses lèvres couleur nénuphar ne vibraient pas, même lorsqu’il parlait avec une vulgarité toute humaine. Eeeh, tu pus l’hybride Uje*. Même ce sang pourri ne couvre pas la puanteur.
- Ça… Je ne pouvais pas le contrôler.
- Ça… Répéta l’autre, moqueur. Tu es idiot Raaz.
Dans le silence un coup partit violemment, qui fit craquer la mâchoire du bel inconnu.

Du sang, translucide et pailleté, coula en filé de sa lèvre fendue. Raaziel grimaça, passant un pouce sur sa blessure pour arrêter l’hémorragie. Gémissant, il replaça ses maxillaires à leur endroit initial. Ses fins sourcils froncés désignaient le coupable, son vis-à-vis, blessé lui aussi. Ce dernier ricanait. Mimant les gestes de l’ange, il se débarrassa de la trainée sanglante à sa lèvre et remit en place les os de son splendide visage.
Spectacle invraisemblable, les deux êtres divins se dressaient là, époustouflantes statues d’un marbre parfait et étincelant. Leurs yeux précieux se dardaient de rage et d’amour, d’un sentiment unique et indescriptible. D’autres que Thâ’em Ka n’auraient pas compris. L’un était muet, son double parlait une langue occulte. En miroir ils se répondaient. Nobles et remarquables Narcisse. Deux géants qui s’affrontaient dans une joute fanatique, tour à tour merveilleuse et effrayante. Le sol frémissait sous leurs pieds nus ; trop éclatants, trop éblouissants, trop puissants pour qu'elle puisse seulement les supporter ? De toute façon, ils n'appartenaient pas à ce monde-ci.
« Ah, c’est pas bon. J’en ai envi maintenant. Ronronna l’opportun, sa bouche tirée par un vil sourire carnassier.
- Eh bien, retiens-toi. Soupira Raaziel, repoussant la main aventureuse.
- Allons, Dieu ne nous punira pas. Il ne nous jamais vraiment puni et si ça n’avait été nos pathétiques confrères, si jaloux, nous n’en serions pas là, séparés l’un de l’autre… La jalousie, c’est un vilain péché. Et toi, mon pauvre, tu me fais pitié.
- Garde ta putin de pitié, Raaziel.
- Tsss, si vulgaire. Je t’aime de plus en plus.
- Vaniteux égocentrique.
- Nous sommes deux. Merci.
- Ça suffit, arrêtes ! S’exclama l'ange franchement agacé.
- Uhn, je suis insatiable aujourd’hui. Dit-il avec un large sourire, esquivant un coup probable qui arrivait par la droite. Les poings glacés du Secret de Dieu étaient ravageurs et ce dernier se fichait éperdument d’être touché pareillement, du moment qu’il satisfaisait sa colère en frappant. Balaam hante Mexico. Et Samy aussi, mais ça, tu le sais déjà. Ces types trament de sales coups en indépendants. J’étais à une réunion amusante, il n’y a pas longtemps,nos calices étaient remplis du même vin.
- Side ? Demanda Raaziel, sa voix ténébreuse entrecoupée d’appréhension. Il se tenait raide face à son double maléfique. Le teint de sa peau avait blanchi tant et si bien qu’on percevait clairement des veines où coulait un sang bleuâtre. Ses iris prirent une couleur foncée parsemée d’éclats rougeoyants.
- Ce petit est plein de ressources.
- Il n’a pas choisi le meilleur des fils de Jaaziel.
- Sid… Alors tu étais au courant. Sourit la créature. Ses longs cheveux bercés par le vent offraient un contraste fantastique cependant qu’il posait là, la toile d’un menaçant ciel gris derrière sa haute stature.
- Qui est le plus idiot maintenant. Tout ce que tu vois je le vois, tout ce que tu entends, je l’entends, Python.
- Tu prononces ce nom comme s’il te brûlait la langue.
- Je n’aime pas ce personnage-là. Critiqua Raaziel avec une moue écœurée.
- Regarde-moi, Raaziel. » Supplia l’ange face à lui qui déployait quatre immenses ailes à l’aspect d’abord nébuleux.

Des hurlements abominables retentirent. Les quatre ailes se déployèrent en chantant des psaumes et des cantiques ; leurs voix ressemblaient à celles de milliers d’hommes poussant leur dernier cri avant de trépasser… Et c’étaient en réalité les plaintes de toutes les victimes de Raaziel qui s’incarnaient dans ces membres décharnés, ces ossements rongés, brisés, aiguisés, ces lames de fer tranchantes comme des sabres, ces morceaux de chair blanchâtres et grisâtres, troués, déchirés, ce semblant de plumage luminescent. Fasciné, l’ange s’approcha de son si céleste vis-à-vis. Ses yeux bleus saphir pleuraient des larmes de diamants. Or, lorsqu'il tendit sa main délicate, ses doigts tremblants, ses jambes manquèrent de ployer.
« Oh Dieu, susurra-t-il idolâtre, embrassant cette bouche traîtresse, comme je suis beau ! »

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