Les Anges avaient beau passer pour de gros psychorigides pas drôles, saoulant avec leurs leçons de morale voire carrément désespérants pour certains il n’en restait pas moins que, par certains côté, cela restait des créatures capables de développer des miracles de dévouement pour leurs protégés dont ils prenaient toujours le plus grand soin. Enfin. Soin. A la réflexion si, cela pouvait aussi s’appliquer à l’Ange-Gardien Azriel – ‘Dieu est mon aide’, jamais un nom n’a été aussi bien choisi pour un Ange – qui avait troqué sa discrète couverture de pote de camé pour celui d’infirmier au Santa Fe ABC Hospital justement pour pouvoir continuer à prendre soin de son comateux de protégé.

Les débuts à l’hôpital avaient été laborieux ; heureusement qu’Azriel Théophile – bah quoi c’est beau comme nom ? – avait en effet de grandes compétences dans le domaine et une longue expérience des hommes car à n’en pas douter sinon que sa maladresse catastrophique eut tôt fait de le faire renvoyer. Cela ne faisait que sept pauvres petits jours que déjà la tornade blonde bourrée d’enthousiasme et d’envie de bien faire avait réussi à traumatiser les autres infirmières qui n’osaient plus le laisser tout seul avec une bête perfusion car, aussi étonnant que cela puisse paraître, il y avait immanquablement un problème. Que ce soit le fil qui se plie et empêche le liquide de couler que le portique qui se casse la figure pour une raison obscure, le Théophile générait dans son sillage une monstrueuse série d’accidents qui auraient réjoui Murphy et les autres théoriciens adeptes de catastrophes.

En dépit de cela et porté par sa foi et son amour pour son Dieu, la créature angélique persévérait, acceptait les critiques de bonne grâce et s’appliquait avec cet allant et cette gentillesse aussi déroutante qu’étrangère au genre humain. A ce point, ce n’était tout simplement pas possible. Et pourtant ! Il prenait soin le pas doué de bien réguler son aura pour ne pas trop briller – en plein jour ça passe, en garde de nuit beaucoup moins – et d’éviter au maximum les situations où sur le coup de l’émotion, ses deux ailes auraient jailli de son dos en déchirant ses vêtements au passage. Car si la douce lueur qui semblait le nimber en permanence pouvait être expliquée facilement en invoquant les produits de soins pour homme – il n’était pas orgueilleux et ne se sentait pas ridicule, du moins pas trop – qui sublimaient son teint, les deux grandes ailes blanches liserées d’or étaient beaucoup plus difficiles à faire avaler au personnel soignant…

Pour le moment, il avait eu du bol – Loué soit Dieu ! – et à défaut de récupérer un protégé conscient au moins n’avait-il pas encore grillé sa couverture. Oui, encore, car si Azriel avait la Foi il restait lucide sur ses humbles capacités et savait que tôt ou tard il se ferait avoir.

Néanmoins lorsqu’il prit la direction de la bibliothèque municipale un soir de juillet, il ne pensait pas du tout se faire avoir de cette façon. Vraiment. Au départ il avait voulu emprunter un livre de cuisine dans l’espoir de faire de bons petits plats aux infirmières pour les remercier de leur gentillesse et de leur patience – il avait conscience d’avoir un effet boulet et tenait à s’en excuser – mais il s’était vite rendu compte d’un chose très affreuse pour lui.

Le bibliothécaire, c’était Satan.

Il n’y avait pas prêté attention en entrant, puisque le démon majeur était hors de vue – l’histoire retiendra qu’à ce moment il était en train de se lier avec un dragon – mais lorsqu’il voulut revenir pour faire enregistrer le livre de recettes sur la carte d’une des infirmières qui lui avait chaudement recommandé la bibliothèque et son superbe tenancier – il comprenait mieux maintenant – il s’était légèrement senti en danger et était retourné se planquer au fond de la pièce alors que le démon était occupé à draguer une de ses clientes.

Là il avait attendu.

En priant.

Manque de bol, il semblerait que son Seigneur ait voulu le mettre à l’épreuve car non seulement Satan ne semblait pas vouloir partir et fermer boutique en l’enfermant gentiment dedans mais pire : il avait repéré sa présence. Il le sentait. Dans toutes les fibres de son corps et savait qu’il ne pouvait pas rester planqué entre deux étagères et se devait d’affronter bravement le Prince des Enfers en son domaine. Bon. Du courage, il n’en manquait pas, porté par sa Foi et l’assurance inébranlable que tout finirait bien, quoi qu’il arrive. Le livre de recette soigneusement plaqué contre son cœur le petit Ange s’avança vers l’immense démon.

— Bonsoir, il ne savait pas trop comment l’appeler sans faire de blasphème ou se montrer impoli et ne pouvait pas faire comme s’il ne l’avait pas reconnu car ça aurait été encore pire. Il opta donc pour un simple et passe partout : ô Prince des Enfers.

La voix mélodieuse de l’Ange ne vacilla pas mais le frémissement de son aura trahissait sa préoccupation ; il était tout sauf tranquille et espérait vraiment qu’il ne se passe rien de fâc…

… Hypnotisé par le regard de braise l’Ange avait posé carte et livre – pas forcément dans cet ordre – à côté du comptoir… Il laissa échapper une exclamation désolée, les joues empourprées et se baissa aussitôt pour tout ramasser.

La jolie jeune fille dont il avait salué la beauté exotique et la grâce naturelle avait fini par tomber dans ses filets si soigneusement tendus et sa toile d’araignée tissée rien que pour elle : elle lui avait donné son numéro entre deux petits gloussements et rougissements, avec la promesse de l’aider à approfondir l’étude des rapports psychologiques chez les humains entre personne de culture et de mentalité différente. Rien de bien folichon, comme on pouvait donc le constater. Le numéro en poche, Satan était donc revenu à ses moutons comme si rien ne s’était passé à ce sujet. Ses pensées s’étaient retournées vers le pacte conclu quelques instants plus tôt avec le Dragon. Ce cher « Christobalde LeBreton » - il n’était guère dupe sur la réelle identité de l’individu, accessoirement - et sa soudaine irruption. Oh, ce n’était pas la première fois qu’ils se croisaient. La première fois, ainsi que les autres, ayant été assez… mouvementée. Toujours est-il que pour que l’inspecteur en vienne à le trouver lui, le Prince des Enfers, c’était qu’il ne devenait plus que son dernier recours.

Le Démon aurait bien approfondi davantage ses pensées à défaut de retourner dans un documentaire sur la vie des Spartiates à l’époque de la Grèce Antique, s’il n’avait pas ressenti la présence d’une petite vermine. Hm… pardon, d’un « Ange ». Le parasite ailé en question était dans SA bibliothèque. Ça alors… les Anges s’instruisaient ? C’était bien là un « miracle », c’était le cas de le dire. Un grondement sourd résonna un instant dans sa gorge à cette simple constatation avant que l’individu en question ne vienne poindre le bout de son nez.

C’était bien un Ange.

Ses yeux de sang se plongèrent dans ceux clairs de son interlocuteur, semblant mentalement le mettre en garde du moindre écart de conduite qu’il aurait pu - et pourrait - avoir à son égard. Après tout, rien ne l’empêchait de le traîner dans la remise pour le clouer au mur et lui arracher les plumes une à une avant de lui lacérer les ailes. Tiens, en parlant de remise… l’idée n’était pas mauvaise à ce sujet. Point de torture dans son esprit - du moins, pas pour lui - mais plutôt une forme de perversion qu’un Démon pouvait donner aussi bien à un mortels ou à un Ange quand l’un d’eux tombait dans ses filets. Et justement : c’était le cas. En attendant de retrouver la charmante demoiselle, une petite mise en jambe avec un amuse-gueule n’était guère de refus.

À cette pensée, un sourire carnassier étira ses lèvres.

— Bonsoir, petit Ange.

Un éclat dur et froid vrilla un instant le sang de ses yeux alors que ses si précieux livres venaient de se retrouver par terre. Bon sang… voilà qui commençait bien et qui lui donnait une furieuse envie de l’étriper sur place. D’ailleurs, son aura oppressante devait sans doute fortement faire sentir la colère sourde qui l’animait actuellement rien que par le fait que l’air ambiant venait soudainement de se réchauffer. Peu à peu, Satan se calma, respira profondément et se rassit correctement derrière le comptoir. Une fois le rangement de l’Ange fait, il prit les livres… et le dévisagea.

— De la… cuisine… ? Depuis quand les poulets blancs se mettent-ils aux fourneaux sans craindre de se brûler ou d’invoquer, par erreur, un de mes « enfants » ?

Il scanna pourtant les ouvrages, se tourna quelques instants vers un autre habitué à qui il rendit la carte de fidélité et reporta son attention sur le petit ange. Autour d’eux, les lecteurs et lectrices commençaient peu à peu à vider la place alors que l’heure de fermeture approchait inéluctablement, donnant davantage d’idées de perversion au Démon maître des lieux.

L’ire satanique n’échappa pas au petit Ange – moui bon d’accord il était petit et de toute façon il ne s’attendait pas à avoir droit à des salutations cordiales avec le Prince des Enfers en personne – qui vacilla d’inconfort lorsque la température ambiante augmenta subitement autour d’eux. Oups. Il venait de commettre un impaire avec ledit Prince des Enfers et ramassa les livres le plus rapidement possible et en y prenant le plus grand soin. Il se cogna violemment le crâne sur le rebord du comptoir en se redressant – on avait la poisse ou on ne l’avait pas – et après un léger moment de flottement il se redressa tout à fait et déposa avec précaution les livres devant le bibliothécaire auburn.

Qui était visiblement en train d’essayer de se calmer. L’Ange avança la main vers lui mais se ravisa lorsque la chaleur diminua jusqu’à redevenir juste un peu inconfortable comme partout à Mexico et il déguisa son geste en se frottant le crâne, des mèches d’or s’échappant de sa longue tresse sous le traitement un peu brusque de l’ange perturbé. Il baissa ensuite le nez et adopta une posture humble, ravalant au maximum la lumière de son aura qui s’était intensifiée inconsciemment en réponse à la débauche de chaleur infernale, tachant d’avoir l’air insignifiant et inintéressant.

Manque de bol, cela aurait pu fonctionner si son choix de lecture n’avait pas intrigué le démon supérieur. Il releva le nez jusqu’à ce que son regard vert d’eau croise celui de braise de son immense et imposant vis-à-vis, l’air aussi étonné que lui. Azriel vivait en effet au contact des humains depuis tellement de temps qu’il avait développé des trésors de techniques plus ou moins foireuses et ridicules – mais toujours efficaces – pour pouvoir se fondre au maximum dans leur environnement et vivre à leur mesure. Au point qu’il en oubliait parfois que la grande majorité des siens – et des démons – n’avaient pas le quart de ses connaissances humaines. Il en concevait d’ailleurs toujours une très grande honte parce qu’il lui semblait indécent qu’un Archange par exemple soit moins doué que lui dans le domaine…

— Avec les grosses mitaines bien épaisses que les humains font à l’heure actuelle c’est très facile de cuisiner sans risquer de se brûler, répondit-il de sa voix mélodieuse et douce, un sourire aux lèvres. Autrefois il devait s’enrouler dans des linges humides, ce qui était tout sauf pratique mais avait toujours eu le don de beaucoup amuser ses protégés successifs qui ne manquaient jamais de le taquiner en le traitant de rouleau de printemps à l’Ange.

— Mais j’avoue que je ne suis pas très doué, c’est soit trop cuit, soit pas assez… Donc j’essaye d’autres livres de recettes au cas où…

Ses joues se colorèrent légèrement : il avait beau pratiquer les humains et leur mode de nutrition depuis des temps reculés il n’arrivait jamais à faire quelque chose de mangeable du premier coup, ce qui le désolait beaucoup parce qu’il adorait faire plaisir. Il avait soigneusement passé sous silence le coup de l’invocation des démons pour ne pas vexer leur Prince car il n’avait jamais eu ce genre de crainte et n’était pas spécialement versé dans l’Art de la provocation, surtout lorsqu’il se doutait que son vis-à-vis n’attendait qu’un infime prétexte pour lui sauter à la gorge et lui arracher les ailes…

D’ailleurs à ce sujet il constata avec une pointe d’appréhension que les derniers clients s’en étaient allés et qu’il se retrouvait désormais – Oh.Mon.Dieu – en tête à tête avec Satan.

Il tendit donc la main vers le sac contenant les livres qu’il empruntait – à chaque jour suffit sa peine il verrait plus tard comment il se débrouillerait pour les lui ramener – et eut un sourire à l’intention du démon.

— Je ne vais pas vous retarder davantage ô Satan, vous devez être très occupé. Je vous souhaite une excellente soirée et… Il se mordit la langue, il avait failli dire ‘et que la Paix de Dieu soit avec vous’ ce qui aurait été très mal interprété. Et je prendrais soin de vos livres, se rattrapa-t-il aussitôt.

Les couloirs de la bibliothèque se vidaient lentement au fur et à mesure que les différents habitués en sortaient alors que l’heure de fermeture approchait. Pour le plus grand plaisir du Démon, d’ailleurs, qui se retrouva bientôt seul en compagnie de l’Ange venu se perdre dans sa toile si savamment tissée. Pauvre petit être perdu dans ce monde de mortels et de diableries ! Il y avait de quoi faire frémir le ciel et les enfers… pour le plus grand bonheur des êtres démoniaques tels que lui. Que demander de plus ? Un petit être sans défense qui venait de tomber entre ses griffes.

Un sourire amusé étira les lèvres du Maître des Enfers à la trace d’humour de son jeune interlocuteur. Il avait peine à imaginer une créature céleste réussir un seul plat en ce bas-monde. Et même essayer d’imagine un ange devant les fourneaux était des plus risibles et franchement distrayant. Encore mieux que des les massacrer. Quoique, dans le cas actuel, il n’était guère question de massacre mais plutôt de tout autre chose… et les livres de cuisine de la créature céleste lui donnait certaines envies de marmiton. Et pas dans le premier sens du terme. Ses doigts se refermèrent davantage sur le sac contenant les précieux ouvrages culinaires, un éclat brilla un instant dans ses yeux carmin. Et si… ?

— Allons, mon cher. À peine venu que vous désirez déjà repartir ? Les Anges ne sont décidément plus ce qu’ils étaient auparavant.

Le Démon contourna le bureau d’accueil dans un bruissement d’étoffe et un parfum de souffre pour se retrouver devant la frêle créature - et il y avait de quoi, vu la taille de l’être démoniaque - qu’il jaugea un instant de haut en bas. Silencieux. Ce n’est qu’au bout de quelques longues secondes qu’il fit signe à Azriel de le suivre, conservant toujours le sac des livres en main.

— Suis-moi. Je dois avoir quelques ouvrages qui pourraient t’être utiles… dans la réserve.

Il fit un détour pour aller verrouiller les portes de la bibliothèque et abaisser l’imposante grille de fer avant de s’engager dans les couloirs privés et interdits au public. L’Ange n’avait pas la moindre échappatoire, Satan possédait en otage les ouvrages qu’il désirait. D’ailleurs, il dut retenir un sourire torve alors que la toile se resserrait de plus en plus autour de sa petite victime d’un soir. Pouvait-on lui en vouloir ? C’était tellement tentant cette envie de débauche et de luxure.

— Entre, murmura-t-il dans un souffle chaud alors qu’il ouvrait la porte de la réserve où se trouvaient de nombreux ouvrages pas encore mis en rayon. Porte qu’il referma et verrouilla en silence une fois l’Ange entré dans l’Antre du Diable.

Son regard de sang se posa un instant sur les différents ouvrages qui se trouvaient çà et là. Il y en avait absolument pour tous les goûts : des frémissements causés par les romans à l’eau de rose dont certaines personnes de la gente féminine était adepte, aux frissons d’horreur que pouvaient procurer les romans de King dans sa langue d’origine. Horreur, romance, recherche, étude de marché, documentation… au même titre que la bibliothèque en soit, la réserve était tout aussi une mine d’or en la matière. En particulier avec des ouvrages qu’il ne mettrait jamais en rayon.

Satan détourna son attention des livres pour reporter son regard sur sa « victime » du jour. Le petit angelot lui semblait bien appétissant ainsi impuissant et, pour un ange de la foi, il n’en serait que plus jouissif que de le faire sombrer dans la débauche et lui faire goûter au plaisir.

En ces temps troubles où l’Humanité reniait ses croyances, les Anges avaient tendance à être pris pour de bonnes grosses dindes faciles à entuber avec un peu de vaseline de belles paroles cordiales et des sourires aimables. Mais si ce schéma convenait parfaitement pour décrire ceux qui n’avaient jamais été confrontés à la dure réalité terrestre et à sa faune exotique et un peu toxique sur les bords pour les anges il n’en allait pas de même pour Azriel. Lui, il savait. Il pratiquait les hommes et leurs perversions inspirées par les démons tentateurs depuis des temps si reculés qu’il était parfaitement à jour sur les dangers inhérents à sa condition – comme tous les anges il était rangé dans la case ‘prude’ ce qui en faisait une cible de choix – et le petit manège de Satan ne le berna absolument pas.

Bon. Là, il était mal et ça commençait très sérieusement à sentir le souffre et pas qu’au propre…

Tel un âne rétif qui refuse d’avancer sur une passerelle vermoulue et particulièrement casse-gueule l’Ange essaya de récupérer les bouquins pour pouvoir foutre le camp – échec numéro 1, la poigne démoniaque étant supérieure à la sienne – puis il subit son examen en ayant un peu l’impression que le démon se demandant à quelle sauce il allait le cuisiner, lui, avant de faire demi-tour en refusant poliment de le suivre, prétextant qu’il avait tout ce qu’il lui fallait et qu’il avait trouvé son bonheur dans les livres empruntés. Hélas, trois fois hélas – échec numéro 2 – le Satan fut plus leste que lui et lui ferma les portes de la bibliothèque au nez.

Zut.

— Je ne voudrais pas m’imposer ô Prince des Enfer, je vous assure que ce n’est pas nécessaire… protesta-t-il pour la forme, tout en sachant qu’il aurait tout aussi bien pu s’adresser au mur des Lamentations en Palestine que le résultat aurait été le même.

Pas découragé pour autant en dépit de la certitude qu’il était vraiment dans le pétrin, là, l’Ange décida de jouer le jeu pour le moment – bien qu’à contrecœur, fallait pas exagérer non plus – et se laissa pousser par son satanique geôlier jusqu’à la réserve, figure vivante du martyr courageux qui refuse de se laisser impressionner et dépasser par la panique, fort de sa Foi inébranlable en Dieu.

Lorsque le déclic du verrou signalant son arrêt de mort inéluctable captivité se fit entendre il se retourna d’un bloc vers Satan, son regard vert d’eau assombri par ses sourcils légèrement froncés de concentration. Son aura brillait désormais intensément, l’auréole clairement visible au dessus de ses cheveux blonds.

— Nous ne sommes pas obligés d’en arriver là, laissez-moi partir, tenta-t-il, sa voix mélodieuse rendue grave et calme par le côté affreux de sa situation. Plus Azriel était dans la merde, plus il avait les idées claires. Là il essayait de tempérer le démon tout comme de lui faire comprendre qu’il n’était pas dupe quant à ses intentions. Que ce soit un effet de son imagination ou la réalité il avait l’impression que Satan chauffait avec les idées qu’il pouvait avoir le concernant et que ça sentait de plus en plus les Enfers ici bas…

Il ne recula pas – pas encore du moins – mais adopta cette posture légèrement infléchie, souple sur ses aplombs de la créature qui s’apprête à combattre, acculée mais pas encore vaincue. Il avait beau être tout en bas de la hiérarchie angélique, comme tous les Anges gardiens il était en mesure de se défendre et de se battre en cas de besoin. Il détestait en arriver à la violence mais quelque chose lui disait que le Colérique ne se laisserait pas infléchir par des arguments posés.

Voir le petit Ange chercher par tous les moyens à argumenter pour amoindrir le Démon lui donnait d’impression d’être le grand méchant loup face à l’agneau craintif de la célèbre fable de cet homme français, un certain La Fontaine. Et cette pensée ne fit qu’accroître davantage son côté joueur et malsain. Ce qui, au départ, ne devait être qu’un simple amusement visant à détourner l’Ange de Dieu, devenait de plus en plus une envie à mesure que l’être de Lumière lui résistait. Une envie qui prenait une tournure perverse dans son regard. Lentement, le Démon se rapprocha de son vis-à-vis qu’il ne quitta pas des yeux. Vis-à-vis qu’il vit reculer sans toutefois se retrouver contre le mur, tournant en cercle.

Maligne, la fouine.

Un bras puissant fusa. Le geste fut si rapide qu’il en devint flou aux yeux des mortels. Satan attrapa l’Ange par la taille et le plaqua soudainement contre le mur de la réserve en un bruit mat et étouffé. Un grognement guttural et peu amène résonna dans sa gorge lorsque les ailes blanches jaillirent soudainement du dos d’Azriel, lui mettant des plumes un peu partout dans la petite pièce. Il nota pour lui-même de songer à les griller dès que possible. Pour le moment, il avait une toute autre occupation sous la main, un tout autre jouet à se mettre sous la dent. Un sourire perfide et qui ne présageait absolument rien de bon ourla ses lèvres coralliennes.

Une main se plaqua sur le mur, proche de la tête du petit ange gardien pour l’empêcher de fuir. Sa dextre se faufila le long de la cuisse dissimulée par le pantalon bien trop large et remonta sous le t-shirt trop grand. Ses doigts caressèrent la peau délicate et veloutée, remontèrent sur le torse tout en soulevant le tissu qui glissa sur son poignet. La rougeur soudaine qui se diffusa sur les joues de l’ange étira davantage son sourire et il dut retenir un rire en le voyant essayer de se carapater en lui laissant son t-shirt en guise de souvenir.

Le bras fusa à nouveau pour rattraper la petite souris qui tentait d’échapper au chat. Cette fois, sa main se verrouilla dans le dos de la pauvre créature qu’il plaqua de nouveau contre le mur, sa jambe glissa entre les siennes pour l’empêcher de s’échapper par une simple pirouette comme précédemment. Mais il n’en resta nullement là… bien au contraire.

Les lèvres brûlantes du Démon vinrent se poser sur celles plus fraîches de l’Ange. Sa langue les caressa brièvement avant de se glisser entre elles, profitant de la surprise de sa victime, pour venir chercher sa jumelle céleste qu’il goûta et dégusta à sa juste valeur, comme il l’aurait fait avec une toute autre friandise désirable. Il brisa cependant le langoureux baiser lorsque la lumière d’Azriel se fit trop puissante, le forçant à fermer ses yeux sans qu’il ne le lâche toutefois. Il n’avait guère envie de devoir le rattraper encore une fois. Lorsque la lumière cessa, il haussa vaguement un sourcil avant de sourire en voyant le pauvre Ange ébouriffé et complètement éteint. Au moins ne serait-il plus gêné par la lumière que l’énergumène pouvait émettre. En revanche, les ailes avaient refaits leur apparition mais il se contenta de les ignorer.

Conservant l’Ange contre le mur, ses mains allèrent de nouveau explorer le corps doux et à présent tiède. Ses lèvres se faufilèrent dans le cou laiteux qu’il embrassa sensuellement, remontèrent sur la tempe pour se glisser vers l’oreille dont il mordilla le cartilage tendre. Murmurant des paroles scabreuses à en faire rougir une jeune vierge, une de ses mains en profita pour se glisser dans le pantalon, descendant lentement sur l’entre-jambe qu’il caressa d’abord du bout des doigts avant de se faire plus prononcé dans ses attouchements. Si jamais Azriel avait le malheur de chercher encore une fois à s’échapper… il laisserait bien plus que des plumes.

Il avait essayé de l’esquiver, il avait aussi essayé de lui échapper – riche idée, il se retrouvait sans t-shirt avec le démon en mode lubrique sur lui – mais rien n’y avait fait ; le Prince des Enfers le maintenait avec fermeté et il demeurait là, coincé en sandwich entre le mur froid et son corps brûlant qu’il sentait palpiter contre lui... Malgré son trouble et l’affreusité – néologisme nécessaire pour traduire l’horreur – de sa situation L’Ange de la Foi réfléchissait à toute vitesse, ses côtes se soulevant au rythme accéléré de sa respiration ; son organisme souffrait désormais d’un très léger début de fièvre à cause de la brutale déperdition d’énergie qu’il avait subie lorsque le démon l’avait embrassé.

Em.Bras.Sé. Lui. Oh.Mon.Dieu !!

Un léger couinement échappa ensuite à l’ange gardien lorsque les lèvres bouillantes – pourquoi les démons devaient-ils être aussi chaud ? – glissèrent de son cou jusqu’à son oreille et qu’il sentit ses dents se refermer dessus. Outre le geste qui en lui-même était déjà perturbant pour Azriel qui n’avait pas franchement l’habitude ni même le début d’envie de se faire grignoter de la sorte ce furent les images que le Prince des Enfers dépeignit avec application dans un souffle aux relents méphitiques qui achevèrent de faire virer sa carnation pâle à un écarlate qui n’avait rien à envier aux pupilles sanglantes de son bourreau. Là, maintenant, il savait vraiment ce qui allait lui arriver et s’il avait eu un cœur de chair ce dernier se serait très certainement décroché pour sombrer au plus profond de sa poitrine.

Ses ailes frémirent violemment et il eut un râle étouffé, entre plainte et gémissement – et pas de plaisir, ces gémissements de créatures blessées qu’on s’amuse à malmener – lorsque les doigts sataniques s’égarèrent sur ses attributs masculins qui se recroquevillèrent dans un premier temps sous la brûlure de l’assaut. Ses mains se crispèrent sur le tissu noir de la chemise jusqu’à le tendre sur le torse puissant alors qu’il serrait les dents et se recroquevillait lui aussi, genoux légèrement ployés, un début de panique faisant trembler son corps enfiévré. Il déglutit nerveusement et adressa d’une pensée ses prières à Dieu qui ne pouvait ni le voir ni l’aider à cause de la chape de pollution étrange qui recouvrait Mexico.

Il était seul, et devait trouver la force de surmonter cette épreuve en lui car personne ne serait en mesure de venir à son secours…

J'espère en Toi, mon Dieu
J'espère en Toi
Miséricordieux
Sois-le pour moi
Du doute ou de l'effroi
Quand passe le vent froid
J'espère en Toi, mon Dieu
J'espère en Toi.

L’ange chanta dans le silence de son esprit, une douce lumière le nimbant de nouveau peu à peu ; en ces lieux impies, avec un Satan lubrique qui lui faisait subir des attouchements honteux qui éveillaient son corps, l’Espérance et l’Amour de Dieu le transcendaient et lui donnaient la force d’affronter l’épreuve démoniaque qui cherchait à le faire tomber. Il ne serait pas le premier des faibles à se faire coincer et souiller par les démons, mais son âme ne connaîtrait pas le doute, car il n’y avait aucune part d’obscurité à la Lumière de Son Amour. Un sourire fugace passa sur les lèvres de l’ange fiévreux qui redressa la tête pour pouvoir contempler celui qui allait le Tenter. Son regard vert d’eau était tranquille et calme et si son corps frissonnait d’inconfort et d’autre chose qu’il ne nommait pas, il était enveloppé d’un écrin de Sa Paix et de Sa Force.

Tout ira bien, dans la Foi et l’Espérance.

— Passe ton chemin Démon, souffla-t-il d’une voix douce et mélodieuse, tu n’arriveras pas à me détourner de Lui.

Un large sourire étira les lèvres du démoniaque tentateur. Là, dans cet endroit sombre où rien ni personne ne pourrait les déranger, il pouvait presque l’entendre prier. Pour un être issu des Enfers tel que lui, percevoir les prières adressées au Puissant par ces victimes était presque comme écouter par le trou de la serrure d’une porte : le murmure était doux, infime mais il l’entendait comme n’importe quel autre. Plus encore lorsque sa victime du jour était un Ange de la Foi, un être qui vouait plus qu’une adoration à Son Créateur et Père. Briser ce lien qui unissait un Père à son fils n’en était que plus délectable encore.

Satan se délectait véritablement de la situation présente.

Le corps humain était un piège pour les êtres angéliques, transcendant ce que les mortels pouvaient ressentir sous l’effet de certaines caresses. Si les lèvres pouvaient aisément mentir, le corps en était incapable et se trahissait. En particulier le corps de l’homme. Et l’Ange n’avait rien d’une femme.

Les doigts chauds du Démon continuèrent leur exploration, caressèrent cette peau délicate et légèrement parfumée, douceur d’une plume légère. S’il profitait de la situation ? Bien sûr. Après tout, n’était-il pas un opportuniste et un tentateur ? Conservant ses lèvres dans le cou et proche de l’oreille d’Azriel auquel il ne cessa de murmurer tant de péchés inavoués de luxure et d’abandon, la caresse de ses doigts aventureux se fit plus prononcée, effleurant délicatement la colonne de chair qui ne restait guère insensible à ses attouchements. L’Ange aurait beau prier de toute son âme, rien ne le sauverait.

— Certes non, jeune Ange, lui murmura-t-il en réponse à son souffle. Ta Foi en ton Créateur est des plus inébranlables et admirables. Je te respecterai presque pour cela… mais là où nous sommes, même tes prières resteront silencieuses envers ton Père. À Mexico, seul moi peux les entendre.

Il était le seul. Le seul à percevoir les prières des milliers d’humains qui s’adressaient à un Dieu sourd et aveugle, qui s’était retourné dans son sommeil pour tourner définitivement le dos au monde. Un Dieu égoïste, qui prenait l’existence pour une vulgaire toile de peintre qu’Il pouvait effacer selon son bon vouloir et à tout instant. Ne l’avait-il pas prouvé lors du Déluge ? N’avait-il pas fait cas des Égyptiens ? Même les créatures démoniaques avaient un peu plus de respect pour la vie humaine et ne se bornait pas à les bafouer. Plus la tentation à offrir était grande, plus le plaisir à prendre était certain.

Le Prince des Enfers redressa légèrement sa victime, la gardant plaquée contre le mur, son regard démoniaque se trouvant maintenant à hauteur du torse tiède. Ses doigts en profitèrent pour défaire le pantalon et sous-vêtement du pauvre Ange qu’il fit glisser sur ses cuisses, caressant au passage la peau pâle et douce. Il en profita pour glisser sur le galbe gracile et sensuel des fesses angéliques, jaugeant la légèreté de l’épiderme. Les Anges n’avaient guère changé depuis le Commencement… Sa main remonta sous le t-shirt pour effleurer les tétons, s’amusant à voir Azriel s’en remettre à son Dieu. Vous avez dit « viol » ? Oui, l’on pouvait appeler cela un viol de la part du Démon qui l’assumait complètement.

Tenter et dévorer un petit Ange qui s’était lui-même perdu dans ses filets, cela n’arrivait pas tous les jours. Satan ne tenait guère à voir s’échapper une occasion pareille. Le déchoir ? Nullement. Sa foi et son espérance en son Seigneur ne pourrait lui permettre de devenir un Déchu. Même le cœur pur et l’innocence pouvait se trouver chez les êtres que l’on croit empli de décadence. Pour le Prince d’En-Bas, c’était le cas de certaines prostituées qu’il côtoyait et avec lesquelles il passait la nuit : ces femmes qui n’avaient pas eu d’autres choix pour s’en sortir. À peu de choses près, Azriel leur était similaire… et c’était justement pour cela qu’il n’avait pas résisté.

Les démons étaient en cela les adversaires privilégiés des troupes célestes qu’on avait beau leur expliquer à grand renfort de raisonnements sensés qu’ils n’arriveraient à rien, ils s’acharnaient encore et toujours et ce, en dépit du bon sens même. Raison contre passion, il semblerait que ce n’était pas non plus dans l’intimité de la réserve de la bibliothèque satanique qu’un terrain d’entente serait trouvé… Enfin… Pas un terrain à la convenance du plus petit des deux protagonistes en tout cas, le plus grand ayant pour sa part l’air de se délecter de la situation…

— Je sais qu’Il ne peut m’entendre, répondit doucement le jeune ange en question dont le regard était paisible, brillant d’une foi et d’une espérance absolue. Tout comme tu ne m’entendras pas te prier de m’épargner…

C’était inutile, et cela n’aurait pas été digne d’un soldat de la Foi résolu à boire cette coupe sans flancher, comme son Seigneur Jésus Christ l’avait fait avant lui d’autant plus que la sienne avait été à nulle autre pareille. Que représentait le poids de la souillure de la Luxure face au poids des péchés de l’Humanité toute entière, de sa Création jusqu’à son Elévation ? Une infime larme, un rien dans un océan de douleur, de courage et de Foi.

Il pouvait le faire, il avait Foi.

Foi qui ne le déconnectait hélas pas des élans de son corps, mais après tout… Cela ne faisait-il pas partie intégrante de l’Epreuve à laquelle il était confronté ? Un frisson d’inconfort et d’autre chose remonta le long de son échine, lui soulevé comme un fétu de paille, lorsque les doigts brûlants effleurèrent la courbe de ses fesses – un Vade retro Satanas lui vint à l’esprit – puis les boutons de chair sur son torse qui se durcirent sous la caresse comme pour y résister. Le sang afflua de nouveau à ses joues, tout comme il affluait à un autre endroit qu’il essayait d’occulter en se répétant en boucle que c’était normal, que son Seigneur avait fait le corps humain ainsi et que sous sa forme humaine il était tout à fait naturel, donc par essence divin, de réagir de la sorte…

Bon. Affronter l’épreuve ne voulait pas non plus dire rester comme un agneau sacrificiel attendant la morsure de la lame ; il ploya le genou pour frapper le démon à l’aine et tenta dans la foulée de s’envoler pour échapper à son étreinte. Hélas, trois fois hélas avec le pantalon en travers des cuisses et un poids conséquent sur la poitrine – Satan pesait un âne crevé – la seule chose qu’il réussit à faire fut de donner un coup d’aile dans le visage de son agresseur qui non content de se moquer de sa tentative infructueuse se saisit de son tshirt et le lui retira dans un bruit sec d’étoffe déchirée.

Azriel eut un court moment de flottement avant de souffler sur la plume blanche liserée d’or qui s’était déposée sur son nez. Dans son regard vert d’eau la détermination farouche brillait toujours ; l’équilibre des forces et de la puissance penchait très clairement dans le sens de Satan, mais il y avait encore la voie de l’exorcisme, puisque le Prince des Enfers n’avait pas d’ancre humaine connue à ce jour.

L’Ange de la Foi entama donc ce rituel plus ancien que lui, dans l’Espoir que le grand démon qui l’enserrait et le tourmentait de ses caresses soit chassé de la Terre et renvoyé dans les limbes. Fait étonnant – mais qui ne fit pas tilt du côté d’Azriel, concentré sur ses récitations pieuses et empreintes de Pouvoir – le démon n’essaya pas de l’empêcher d’aller jusqu’au bout de son idée, bien au contraire il semblait même l’y encourager et l’y pousser en précisant ses gestes lascifs, plus intimes, plus dérangeants encore pour l’Ange dont le corps s’échauffait.

Et les derniers mots de Pouvoir furent lâchés dans le silence de la réserve, bannissant le Prince et ses idées lubriques …

… ou pas.
Un hoquet de surprise échappa à l’Ange…

Un ricanement rauque et des plus amusés s’échappa de la gorge du démoniaque seigneur des Enfers. Diable que ce petit Ange pouvait se révéler des plus amusants ! Oh, il ne désirait pas recevoir des prières. C’était bien trop peu amusant qu’on le supplie de la sorte aussi aisément. Non, il désirait le voir se débattre, chercher à le repousser, à l’affronter… bref, en un mot : résister. Détruire la résistance d’un Ange était un spectacle beaucoup plus jouissif que de la voir se soumettre. Les petits rebelles étaient bien plus intéressants que leurs conjoints soumis. De quoi attiser davantage l’appétit d’un prédateur tel que lui-même. Prédateur dont la langue passa sur ses lèvres en un geste lent, savourant d’avance l’agneau égaré.

— Je l’espère, cher petit Ange. Te voir résister est un spectacle bien plus agréable à l’œil que de te voir te soumettre.

Le corps humain d’Azriel jouait en sa faveur. De même que son propre corps, d’ailleurs. Les réactions étaient humaines. Les gestes étaient humains. Les caresses l’étaient tout autant. Bien sûr, il fallait mettre à part le petit désagrément que les ailes de l’Ange pouvaient occasionner mais cela, c’était au principal concerné de s’y faire. Satan n’en avait cure : il avait une toute autre forme d’appétit en éveil.

Un éclat de rire guttural s’échappa de la gorge du Démon lorsque sa victime du moment tenta de lui échapper par la voie des airs. Fermement, il ramena l’Ange sur Terre - plus précisément, contre le mur de la remise - sans cesser son hilarité. Bon sang… ce que les créatures de Dieu pouvaient être à mourir de rire ! En particulier, une bonne partie des Anges de la Foi qui s’en remettaient à leur croyance et espérance dans leur Créateur. De quoi faire sourire le plus coriace des créatures démoniaques et faire rire les plus jeunes. Au moins les Démons possédaient-il un tant soit peu le sens de l’humour. Humour noir, bien sûr. Ce qui était assez rare pour être noté, quand d’autres prenaient les choses bien trop à cœur et se vexaient pour un rien. En particulier les Orgueilleux.

Un ronronnement moqueur et amusé fit vibrer la gorge du Prince des Enfers. Ses pupilles s’étrécirent soudainement lorsque le jeune Azriel commença à proférer des paroles vouant à l’exorciser. Le sourire réapparut aussitôt sur les lèvres de Satan, un éclat malsain brilla dans ses iris écarlates. Il ne chercha nullement à l’empêcher de proférer ce rituel. Bien au contraire, ses caresses scabreuses ne faisaient que l’encourager à continuer son rituel d’exorcisme, encore et encore. Ses doigts effleuraient, massaient certains points clés du corps humain pour l’ouvrir à la Luxure. Certes, il lui forçait la main. Et alors ? Azriel avait le corps d’un homme, pas celui d’une femme : son corps ne pouvait ni mentir ni simuler. Le Démon savait que ses perversions faisaient mouche, quand bien même l’Ange désirait les lui cacher.

Le rituel s’achevait et ne déboucha sur… rien. Hormis le nouveau rire du Prince des Enfers et d’une lueur grandement amusée qui illumina ses iris. Le petit Ange avait espéré. Ses espoirs s’étaient soldés par un échec total. La langue fureteuse passa sur les lèvres démoniaques avant de goûter le torse délicieusement chaud de sa victime.

— Tu t’attendais à quoi ? A ce que je disparaisse dans un hurlement de rage en te maudissant, comme dans les films ? Peut-être que si tu étais venu quelques heures avant, Azriel, cela aurait pu être le cas.

Un long, long blanc répondit à la remarque de Satan, pas même entrecoupé par de traitres soupirs ou frémissements d’ailes. L’ange Azriel… avait buggé. Ou plutôt la stupeur l’avait momentanément complètement déconnecté de ce qui était en train de lui arriver. La… docile complaisance du maître des Enfers aurait dû le mettre sur la voie mais il avait très sincèrement pensé que le démon l’avait sous-estimé et jugé pas assez puissant pour le renvoyer dans les Limbes. Ce qui, après tout, aurait été tout à fait valide comme hypothèse.

— Je m’attendais à ce que vous soyez banni dans les limbes oui, pas forcément aux effets tout autour… confirma le blond ébouriffé aux joues écarlates dans un léger soupir de résignation. Mais j’aurais dû me douter que ma chance légendaire mettrait encore une fois ma foi à l’épreuve…

Comme si Satan en mode lubrique et le bouclier qui le coupait complètement de son Seigneur ne suffisaient pas, il fallait en plus qu’il ait droit à une manifestation de son talent légendaire d’ange poissard qui multipliait les maladresses – faire tomber les bouquins, se retrouver seul avec le démon parce qu’il avait fait les mauvais choix – et les coups de malchance – un Satan ancré avec un pactisé pour ne citer que celui là. Qui restait le plus navrant, là dans sa situation actuelle…

— Vous avez décidé de vous lier à un humain alors ? s’enquit-il sur le ton de la conversation – un peu gargouillé – en essayant de repousser la grande tête rousse pleine de langue beaucoup trop inquisitrice à son goût, en faisant du mieux qu’il le pouvait pour s’en dépatouiller parce qu’il avait quelque difficulté à mobiliser ses forces avec son malaise grandissant. Trop chaud, il avait beaucoup trop chaud et la fièvre tout comme son énergie déclinante l’empêchait de réfléchir posément.

Il soupira.

D’inconfort, et d’autre chose qu’il ne voulait pas analyser mais qu’il savait tout à voir avec le désir que le démon réussissait à insuffler à son corps d’homme. Et il se répéta, encore, que c’était une réaction naturelle et donc divine. Et il se répéta, encore, que cet accouplement que le démon voulait lui imposer, étant contre nature, ne risquait Grand Dieu merci pas de porter fruits, ce qui lui épargnait les affres d’accoucher d’un enfant dragon issu de Satan et tous les horribles dilemmes qui accompagnaient ce genre de naissances affreusement tristes pour tout le monde…

Oui, tous biens considérés, Azriel s’estimait des plus chanceux dans son malheur… Et si à ce moment son odorat d’ange un poil – juste un poil – paniqué – mais apparemment ça allait changer sous peu……….. – repéra l’odeur distinctive du sang de dragon dans l’halène suave du Prince démoniaque il ne fit pas du tout le lien entre l’ancrage tout récent du satanique auburn et la possibilité que ce dernier ce soit en effet lié à un hybride d’ange et de démon.

Pourtant… L’ironie, dans sa situation en aurait été des plus… frappante…

En parlant de frapper, après avoir essayé de repousser sans grande réussite le Satan qui continuait à le peloter de manière éhontée et le refaisait briller intensément, Azriel essaya de… taper sur Satan. Du moins l’idée se formula dans son esprit mais il n’eut aucun moyen de le mettre à exécution. Il eut un couinement et une nouvelle décharge de lumière lorsque les… touchantes attentions se précisèrent, ce qui rappela à Azriel que Satan était tout à fait en mesure d’entendre ses pensées, étant un représentant d’un des sept péchés capitaux. Il essaya de remonter son bouclier mental bien mis à mal par les déferlantes d’émotions auxquelles il était tout sauf coutumier, histoire de s’épargner de plus amples déconvenues…

—Si vous pouviez vous dépêcher que je puisse prendre mon tour de garde à l’hôpital avant qu’ils ne s’inquiètent et préviennent la police…

Le Démon eut un ricanement peu agréable, quelque chose de rauque et de profond. Moqueur. Pour la première fois, il était reconnaissant envers le Dragon d’avoir demandé à se lier avec lui. Si ce petit Ange était arrivé quelques heures plus tôt, nul doute que son exorcisme aurait été des plus efficaces. Mais la malchance semblait poursuivre Azriel au même titre que les attouchements scabreux et pervers du Démon ne cessaient de croître.

Ses dents mordillèrent le cou d’albâtre de sa jeune victime dont il sentait la température n’avoir de cesse de grimper en flèche. Il perçut les pensées de l’Ange concernant son propre cas. Il n’avait pas tort, le petit être emplumé de blanc : il était bel et bien lié avec un Dragon. Pas n’importe lequel parce que le môssieur en question avait un caractère de la même teneur que le sien. C'est-à-dire, foutrement chiant et parfois exécrable. Quoique… le côté exécrable, c’était lui qui l’avait et pas le Christobalde. Même si, dans les faits, cela restait à prouver et, quelque part, Satan était persuadé que son lié pouvait se révéler drôlement usant pour les nerfs.

Mais passons.

— Bien deviné, petit Ange. Cela dit, tu as faux concernant la nature-même de mon lié. Mais tu l’as subtilement deviné : c’est un Dragon.

Plus bas, sa mains glissa pour venir tire sèchement le jean de l’Ange, le lui déchirant presque sans la moindre douceur, entraînant le sous-vêtement qu’il portait. Satan fut un moment tenté de conserver ses griffes pour la suite des opérations mais préféra les rétracter : il ne tenait pas à voir un poulet porter plainte, surtout vu la teneur des blessures qu’il risquait de lui infliger. Il soupira intérieurement face à cette concession de sa part. Azriel ne perdait rien pour attendre.

— Oh non, je vais prendre tout mon temps. Absolument tout mon temps pour que tu ressentes dans la moindre parcelle de ton corps, dans la moindre de tes cellules même celles que tu ne soupçonnais pas… ce qu’est la Luxure.

Sans la moindre pitié, il glissa deux doigts le long de la raie des fesses de sa victime avant de le pénétrer lentement. Les couinements le firent sourire, moqueur et amusé. De son bras libre, il raffermit davantage son étreinte et sa prise sur le corps de l’Ange qui cherchait à se tortiller pour lui échapper. Il esquiva habilement un coup de poing pour le bloquer aussitôt davantage contre le mur. Ses lèvres glissèrent près de son oreille pour y murmurer des paroles salaces, dégoulinantes d’interdit et de Luxure que les Anges ne doivent pas connaître. En réponse, il eut droit à des prières… qui le firent éclater de rire.

Oh oui, Satan s’amusait avec cette petite victime pas comme les autres. Le voir se débattre, chercher à se défaire de son étreinte et n’avoir de cesse de prier son Créateur et d’espérer… c’était des plus jouissifs.

— Débats-toi encore, Azriel. Débats-toi davantage. Plus tu le feras, plus mon étreinte se resserra. Et quoique tu fasses, tu ne pourras guère t’échapper. Plaisant, n’est-ce pas ? Tu devrais t’estimer heureux que ce soit moi qui te prenne ta virginité, petit Ange. Ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir le Prince des Enfers.

Un dragon.

Voilà qui était ironique et si Azriel n’avait pas été plus qu’occupé à essayer d’ignorer avec soin ce que lui inspirait les… caresses ? du Prince des Enfers il se serait très certainement intéressé à la question. Ou pas. Il eut un hochet de stupeur lorsque le démon lui arracha à moitié son pantalon en embarquant son dernier rempart à la pudeur. Enfin pudeur. Comme tous les anges le concept de nudité et de pudeur lui était étranger bien que dans le cas présent il eût vraiment apprécié ce que les hommes appelaient une ceinture de chasteté et en acier des Limbes tant qu’à faire pour retarder encore un peu la suite qui se profilait désormais avec de plus en plus de précision.

Un gargouillis murmuré à base de ‘Vraiment fallait pas vous donner cette peine’ s’échappa de ses lèvres quelque part entre la déclaration d’intentions de Satan - trop charmant vraiment, il aurait bien passé l’initiation à la Luxure – et… l’avancée de ces doigts brûlants qui généraient des frissons d’appréhension et de malaise le long de son échine.

Ses ailes frémirent, puis il couina de surprise, de douleur et d’inconfort lorsqu’il les sentit investir un endroit pas du tout fait pour cet usage dans les plans initiaux de son Créateur consultables dans tous les bons ouvrages de biologie du corps humain. Entre la panique, l’indignation et l’outrage l’Ange essaya de se débattre, puis de le taper, avec violence et sans plus aucune retenue en serrant les dents lorsque ses mouvements erratiques lui valaient de se blesser. Sa tentative fut là encore sanctionnée par un bel échec et ses poumons se vidèrent d’un coup lorsqu’il se prit en frontale le poids du démon. Les immortels n’avaient besoin d’air que pour parler et il eut une inspiration sifflante, un peu douloureuse, avant de rougir violemment en comprenant ce que lui racontait le démon.

Les anges… n’étaient pas censés connaître ce genre de vocabulaire mais depuis qu’il vivait auprès des hommes, il avait eu plus que le loisir de faire les associations idoines mais s’il ne s’était jamais senti concerné par elles, dans la situation présente avec un bout de Satan dans sa pauvre personne qui n’avait rien demandée ça avait un peu trop le goût de promesses pour son bien-être…

Il se mit donc à prier, à voix claire et forte non pas dans l’espoir d’être entendu mais bien dans l’intention de couvrir la voix de Satan et les obscénités scandaleuses qu’il proférait avec un plaisir malsain. Prit dans ses pieux cantiques il sursauta lorsque le démon éclata de rire et il lui offrit un regard un peu surpris entre les mèches blondes qui obstruaient son champ de vision.

Et cette surprise s’accentua davantage au fur et à mesure que les paroles s’égrainaient de la bouche de Satan pour remonter jusqu’à ses deux parfaites oreilles.

— Je ne vous résistai plus dans ce cas, cela vous gâchera peut-être votre plaisir, souffla-t-il avec honnêteté, jusque avant de se dire qu’il aurait sans doute mieux fait de garder ses intentions par devers lui puis… de se faire la réflexion juste après que Satan l’aurait lu dans son esprit de toute façon…

Mettant aussitôt ses paroles en exécution, l’ange se força à se détendre pour jouer les poupées de chiffon toutes molles entre les bras de son tortionnaire. Il dut se faire violence pour y parvenir, ce n’était vraiment pas tâche aisée dans sa situation, bouleversé, fiévreux, son aura faiblissant de plus en plus mais là où son corps d’homme sombrait – largement encouragé par les attouchements de Satan – son âme restait vaillante et ne vacillait pas, porté par sa Foi et son Amour pour Dieu.

Il trembla, d’appréhension et de peur mêlée mais…

— Avec tout le respect que je ne vous dois pas ô Prince des Enfers, je m’estimerai chanceux si vous me relâchez lorsque vous en aurez fini…

Parce qu’il pouvait encore tout aussi bien décider de le tuer sur un coup de tête.
A bien y réfléchir, ne serait-ce pas mieux qu’il le fasse après l’avoir souillé d’ailleurs ?

Le sourire du Démon ne cessa de s’accentuer. Les réactions de l’Ange effarouché étaient aussi délicieuses à voir qu’à ressentir. Les créatures de Dieu étaient toutes plus amusantes les unes que les autres mais les Anges avaient cette innocence chaste et pure ordonnée par leur Créateur qui était bon à faire sauter : le dévergondage d’un poulet céleste était son jeu préféré. Un jeu malsain, certes, et qui n’était apprécié que d’un seul côté… mais un jeu, tout de même.

La Luxure devait faire parti de son péché secondaire tant il appréciait de s’y adonner au même titre que la Colère. Quoique… en y réfléchissant bien, laisser la Colère le submerger et ne plus avoir aucun contrôle de soi au point de tuer ou de violer ce qui passait à sa portée était aussi un plaisir incommensurable dont Lucifer en avait fait les frais malgré lui. Provoquer la Colère du Prince des Enfers n’était guère conseillé.

De nouveau, un ricanement suivi d’un grand éclat de rire s’échappa de sa gorge et résonna dans la pièce étroite, couvrant l’espace d’un instant les prières de l’Ange. Un grondement sourd demeura en écho pendant encore quelques secondes alors qu’il cherchait à grand peine à calmer son hilarité. Sa main libre se resserra autour du corps de sa victime pour l’empêcher de se débattre davantage, le gardant fermement entre le mur et son propre corps. Son autre main ne se gêna nullement pour fouiller davantage les chairs chaudes de l’Ange, glissant au plus profond pour venir toucher et stimuler ce point sensible dissimulé au plus profond du corps des hommes. Un sourire torve ourla ses lèvres. Avide, il refréna cependant son envie de s’emparer immédiatement du corps de sa victime. D’expérience, il savait que même en le préparant suffisamment, le pauvre Azriel souffrirait.

Le sourire du Démon s’accentua davantage lorsque l’Ange mit ses paroles à exécution et se détendit entre ses bras. Un éclat brillant et malsain irradia ses prunelles carmines, accentuant davantage ce reflet de sang qui s’y trouvait déjà.

— Mais fais donc, petit Ange, fais donc. Au contraire : tu n’en seras que plus savoureux si tu te détends comme il faut. Même si je doute que tu perds cette étroitesse de corps que tu possèdes déjà, mon cher Azriel.

Il écarta lentement ses doigts après en avoir glissé un troisième, dilatant les parois de chair de l’Ange pour mieux le préparer encore. Son visage alla se glisser contre le torse brûlant. Sa langue lécha lentement une perle de chair qu’il mordilla délicatement pour ensuite s’occuper de son jumeau, ne faisant pas de jaloux. Le corps chaud et humide, les réactions qu’il percevait venant de sa victime… tout cela n’était que purement savoureux. L’avantage avec le corps mortel, c’était qu’il ne pouvait absolument pas mentir. Là était tout le plaisir de faire subir un tel traitement à un Ange. En particulier aux Anges de la Chasteté mais, malheureusement, ce n’était pas le cas de celui-ci. Mais peu importait, le Prince du Monde Souterrain s’en contentait largement.

Lentement, il retira ses doigts pour mieux caler l’Ange contre le mur. L’éclat lubrique de ses yeux pouvait remplacer les mots quant à la suite des événements bien qu’il avait encore son pantalon qui constituait le dernier rempart de protection pour Azriel.

— Te tuer ? Oh non, Azriel, certainement pas. Tu es très bien placé pour savoir ce qui arrive aux Anges qui ont perdu leur pureté. N’est-ce pas ?

Cette pureté, il n’allait nullement se gêner pour la lui prendre comme pouvait en témoigner ses doigts qui venaient de défaire la boucle de son jean pour ensuite l’abaisser légèrement, entraînant avec lui le boxer noir.

— A toi de voir si tu t’estimeras chanceux ensuite.

Et sans le moindre scrupule, il s'empara de son corps avec violence.

Et sans la moindre retenue, l’ange hurla dans une explosion d’aura blanche lorsque la géhenne des Enfers s’invita dans ses entrailles, répandant un feu brûlant où il avait l’impression qu’il allait se consumer tout entier. Par delà la douleur dévastatrice il y avait aussi le choc. Le choc d’avoir été pris, lui un ange, le choc de sentir le bout impie du démon en lui, beaucoup trop brûlant, épais et… présent pour qu’il parvienne à faire abstraction de ce qui était en train de lui arriver, brisant momentanément sa concentration et ses prières.

Sans qu’il ne s’en rende compte ses ongles devinrent griffes d’acier qui s’enfoncèrent dans les épaules auxquelles il s’agrippait avec force comme si – la belle ironie – sa vie en dépendait. L’odeur du sang satanique ne tarda pas à venir chatouiller ses narines, mêlant ses effluves soufrées à celles du sien et s’il savait que c’était du poison bizarrement là tout de suite il n’en avait vraiment rien à foutre.

Pareil à un chat cramé au tisonnier – d’autant plus hérissé et les yeux écarquillés que le tisonnier avait été enfilé à l’intérieur de son corps – Az se servit de son emprise sur les larges épaules pour essayer de se barrer par le haut de nouveau en se tortillant comme un furieux – et non, pas un damné – pour se libérer de l’étau de muscles brûlants qui le maintenait contre le mur et passer carrément par-dessus son épaule en mode anguille effrayée.

Sans qu’il ne s’en rende compte là encore l’air frémit tout autour de lui lorsqu’il commença son mouvement de repli, le nimbant d’une mince couche protectrice qui disparut presque aussitôt, évanouie tout comme l’aura de l’ange malmené dont la température corporelle était désormais beaucoup trop haute et s’apparentait de plus en plus à de la fièvre ; simple keroubim, l’ange Azriel n’avait pas une grande réserve d’énergie à disposition lorsqu’il était sur terre et là le démon avait réussi à lui faire dépenser une bonne partie de ses réserves avec ses attouchements contre-nature pour un ange.

Haletant plus par réflexe de terreur et de douleur que par nécessité il fut brusquement et proprement ré empalé sur la virilité satanique, son… initiateur peu désireux de le laisser s’enfuir en plein milieu de son cours de rattrapage en Luxure. Il enfonça de nouveau ses griffes dans les chairs brûlantes, rejeta la tête en arrière en sifflant de douleur entre ses dents, de minces étoiles noires dansant devant ses yeux.

Il… n’était plus en mesure de se détendre comme il avait réussi à le faire plus tôt. Il aurait dû se douter que si beaucoup de messes noires et d’orgies sexuelles se faisaient au nom de Satan et non d’Asmodée c’était sans doute parce que les arguments du Prince des Enfers avaient plus de poids et d’épaisseur que ceux de l'ex-chérubin qui présidait à la Luxure.

— Je… suis sur que ça aurait fait moins… mal, si vous m’aviez juste tué… Je ne... comprends... vraiment pas pourquoi... ça plait autant... aux hommes... qu’il souffla avec conviction entre ses dents, le feu à l’intérieur de son corps se répandant jusqu’à ses joues, son sang pulsant furieusement à ses tempes.

Certains avaient tendance à penser que les anges de la Foi étaient masochistes, tout comme les saints martyrs dont leur vertu était la principale mais en cet instant Azriel aurait pu tous les démentir : oooh non, il n’était pas maso, vraiment et d’ailleurs son corps mortel le démontrait très bien puisque tout ce que le démon avait pu instiller avec ses attouchements lubriques s’était fait la malle en même temps que sa virginité. Pas plus mal d’ailleurs du point de vue d’Az s’il l’avait remarqué ce qui n’était pas du tout le cas.

Perdu dans un océan de douleur et d’incompréhension l’ange leva un regard voilé sur Satan, quelque chose venant titiller son sens du détail maintenant que son sort était plié pour les minutes à venir et qu’il n’avait plus à s’en faire ou lutter de ce côté.

— Comment… connaissez-vous… mon nom ? parvint-il à articuler.

Il ne le lui avait jamais donné et n'y avait pas pensé, pas une fois, pas même pour enregistrer les livres puisque la carte de bibliothèque n’était pas à lui et il n’était pas assez haut – euphémisme puisqu’il était tout en bas – sur l’échelle hiérarchique pour que son nom soit connu du démon le plus célèbre. Alors… Comment était-ce possible ?

Un puissant grondement fit vibrer la gorge du Démon. L’éclat sanglant de ses yeux gagna en intensité au fur et à mesure qu’il goûtait à la Luxure et y précipitait l’Ange avec lui, le gardant toujours dans ses bras puissant. Bras qui raffermirent davantage leur étreinte quand la bestiole ailée chercha à se faire la malle, rapatriant aussitôt l’Ange de la Foi à sa place alors que son rire moqueur et grandement amusé faisait vibrer et trembler les murs autour d’eux. Diantre… que ce morveux pouvait être une source d’amusement sans fin ! Aussi amusant que de dévergonder les Anges de la Chasteté.

Le fait qu’Azriel ait bien du mal à se détendre le ravissait encore plus. Il n’en était que plus étroit, accentuant davantage la chaleur autour de ce que beaucoup de mortels espéraient expérimenter lorsqu’ils l’invoquaient. Un ronronnement de pur plaisir remplaça le grondement et résonna de nouveau dans sa gorge alors qu’il conservait ce sourire carnassier et avide. D’une certaine manière, il aurait très bien pu prétendre au titre de la Luxure au même titre que celui de la Colère : les deux n’étaient pas incompatibles et le Démon usant bien souvent de l’un pour parvenir à l’autre. Et vice-versa.

— Je ne suis pas nécrophile, cher petit Ange. Baiser un cadavre de poulet, je laisse ça à d’autre.

Là s’arrêtait probablement le domaine de Luxure du Prince des Enfers. Quand d’autres Démons seraient avides de chair morte, lui préférait que ce soit encore vivant pour que ça gigote, se débatte… et l’amuse. Un peu comme c’était actuellement le cas avec le pauvre Azriel prisonnier de l’étau démoniaque qui ne le relâcherait qu’une fois satisfait.

Ondulant peu à peu dans le corps angélique, une main se glissa entre eux pour venir saisir la virilité de sa victime et la caresser, calquant ses mouvements sur ses ondulations profondes et de plus en plus rapides. Le corps brûlant de l’Ange témoignait de la fièvre qui l’habitait et qu’il avait provoquée sans le moindre scrupule, sachant très bien ce qu’elle signifiait. Mais pourquoi s’en faire ? Il avait ce qu’il désirait et pas des moindres, usant d’une certaine forme de… vengeance personnelle à ce sujet. Non pas contre l’Ange, mais contre l’un de ses semblables. Le Démon était rancunier et n’oubliait jamais rien.

— Parce que je te connais bien plus que tu ne le crois, Azriel. Toi et moi avons déjà eu quelques différents par le passé. Aurais-tu quelques soucis de mémoire ?

Il ricana, moqueur. Son visage se glissa dans le cou chaud dont il mordilla la peau, remonta sur une oreille à qui il fit subir le même sort avant d’en lécher le lobe. Si son portable vibra plusieurs fois pour lui signifier qu’il avait des messages de sa dulcinée, il s’en moqua complètement. Présentement, il avait quelque chose de beaucoup plus intéressant sous la main et qu’il se mettait sous la dent dans le même temps. Ce qui s’ensuivrait ? Il s’en moquait. Mais il savait que l’Azriel ne serait pas déchu. Pardonné, peut-être… mais il était bien trop important, une part infime qui avait son rôle, pour se retrouver précipité dans le même Enfer que Lucifer et ses comparses.

Un grand, absolu et magnifique blanc mental s’imposa dans l’esprit de l’ange empalé sur démon colérique mais qui aurait très bien pu prétendre au trône de la Luxure lorsque celui-ci se mit à produire un son de gorge lent et régulier qui lui faisait furieusement penser aux félins de compagnie qu’affectionnaient tant les humains et dont là tout de suite, il n’arrivait plus à retrouver le nom. Pourtant, il aurait dû facilement replacer la bestiole mais la constatation que le Prince des Enfers ronronnait tout en le détaillant avec un sourire de prédateur alliée aux puissants coups de reins dont il le malmenait lui donnait tellement l’impression que le diable était en train d’essayer de lui faire sortir la cervelle avec tout le vocabulaire qu’elle contenait en poussant l’ensemble hors de lui par le fondement qu’il n’en trouvait plus ses mots.

Un nouveau sifflement de douleur, mixe de feulement et de gémissement retenu passa les lèvres du Keroubim qui à défaut de réussir à se détendre ou faire abstraction de ce qui était en train de lui arriver essayait de focaliser son esprit sur autre chose, tout, n’importe quoi qui lui permette de se détacher un peu de l’horreur de sa situation. D’un certain côté… Il aurait sans doute pu y parvenir, ou du moins trouver une certaine forme d’équilibre si Satan s’était arrêté de gigoter et de produire ce bruit si dérangeant dans ce contexte parce que ça lui faisait penser aux chats alors que l’activité courante du démon n’avait rien à voir avec…

Chat ! Voilà c’était ça le nom de la bestiole !
Oh.Mon.Dieu les démons ronronnaient comme des chats pendant l’acte, il n’allait plus jamais pouvoir en caresser un sans repenser à cet instant de perdition ! Il ne sut pas si cette constatation soudaine et absolue le catastrophait davantage ou si il s’en amusait, d’un certain côté. Un léger rire de nervosité, hoqueté et bas échappa de la pauvre bestiole punaisée contre le mur par démon en rut avide d’agrandir sa collection de proies lorsque Satan retourna le tourmenter davantage en se saisissant du bout en trop dans la conception angélique – de son point de vue à part pour pouvoir faire du mimétisme sur Terre ça ne servait vraiment à rien.

Il se fit alors la réflexion que les attouchements lubriques du démon avaient des effets bizarres sur son esprit aussi bien que sur son organisme et il ne voulait surtout pas analyser ce qui se passait dans son corps fiévreux et misérable qui tressaillait de douleur comme de plaisir sous les assauts de plus en plus vifs de la créature rousse, vindicative et complètement démoniaque. Peu à peu, il lui faire perdre ce qui lui restait de force en générant quelque chose que l’ange n’arrivait pas à analyser ou à appréhender mais qui se construisait lentement alors que la douleur était supplantée par cette autre chose qu’il ne voulait pas nommer. Ou ne pouvait pas, il ne savait plus, son cerveau définitivement embrouillé par ces sensations aussi contraires que déroutantes.

La réponse du démon lui vint comme dans un rêve ; une lueur étonnée comme indécise passa dans le regard de l’ange qui n’arrivait pas à se rappeler de quelconques différents avec son tourmenteur mais il se raccrocha à la question comme un noyé à une bouée de sauvetage lancée dans la tourmente. Agrippé aux épaules du démon, les doigts enfoncés dans les muscles puissants, Azriel tenta de faire le tri dans sa longue mémoire d’ange élevé mais les mordillements dans son cou ne l’aidaient pas à se concentrer, bien au contraire.

— J’avoue… que… cela ne me dit… rien… souffla l’ange à travers ses dents serrées. Si vous vouliez bien… me rafraichir la mémoire…

Il n’acheva pas son discours haché et erratique ; toutes ses interrogations furent violemment chassées lorsque son corps trop stimulé par le démon un peu trop doué en la matière pour de l’ange puceau fut parcouru par un spasme qui le fit hoqueter et le déconnecta de la réalité.

Et le septième jour du septième mois le plaisir fut, et Azriel vit que cela était bon.
Ce qui était horriiiiible !

Le ronronnement se fit bien plus profond et rauque dans la gorge du Démon. Par curiosité, il laissa les pensées de l’ange lui parvenir. Et ce qu’il en démêla le fit sourire et doucement rire. Il percevait la douleur, bien sûr. La douleur mais aussi des vagues de plaisir que sa victime cherchait à refouler et s’en retrouvait presque apeuré. Mais aussi, des interrogations… et ce sont justement ces interrogations qui le firent rire. Un… chat. Son ronronnement redoubla d’amusement et il poussa même le vice jusqu’à miauler d’un son grave et chaud à son oreille. Oreille qu’il mordilla par la suite. Pour une fois qu’il était comparé à un chat et pas autre chose.

Plus bas, sa main resserra davantage son étreinte sur la réponse frémissante que l’Ange de la Foi lui offrait contre ses ondulations profondes en lui. Sa langue brûlante glissa le de la gorge tout aussi brûlante de sa victime à plumes blanches, goûtant de nouveau la saveur et n’arrangeant sans doute guère la fièvre qui l’habitait actuellement. Le bras libre du Démon redressa légèrement Azriel pour mieux le coincer contre le mur sans toutefois se retrouver réellement coincé au point d’étouffer. Quoique… avec un Prince des Enfers en mode lubrique et animal en rut qui l’empalait et le scotchait dos au mur, difficile de saisir à quel degrés il était coincé ou non.

Il allait répondre quelque chose à l’Ange. Il allait lui répondre mais il vit qu’il venait de franchir la dernière limite. Un éclat malsain irradia les prunelles sanglantes du Démon. Un sourire de pur plaisir et de satisfaction intense étira lentement ses lèvres. Le grondement sourd dans sa gorge s’accrut davantage, bientôt suivit par un nouveau ronronnement de bien-être. Il n’avait nul besoin d’user de ses dons de télépathe pour savoir cela. Son expérience en la matière et les signes avant-coureur ne trompaient jamais l’œil du souverain d’En-Bas. Certes, il n’était pas de la Luxure… mais il l’expérimentait tant que cela ne changeait rien.

Un profond râle rauque remplaça le ronronnement et autre grondement lascif du Démon. L’éclat sanglant de ses yeux se voila un instant par ses paupières lorsqu’il les ferma. Un frisson qu’il connaissait parfaitement bien fit frémir son dos, remonta le long de sa colonne vertébrale jusqu’à venir chatouiller délicieusement sa nuque. Dans un profond et dernier coup de reins dans ce corps si savoureux et étroit qu’était celui de l’Ange, le colérique Prince des Enfers sombra lui-même dans ce qu’il venait de faire découvrir à Azriel. Une Luxure sans aucune limite, électrisant. Nombreuses étaient les légendes qui circulaient sur la nature de son plaisir. Certains le disaient acide, brûlant ou totalement glacé. La réponse ? C’était Lucifer qu’il la lui avait donnée en lui disant : « Chaud et froid à la fois. » Au moins n’avait-il aucun scrupule à faire découvrir l’étendue de son « savoir » aux courtisanes dont il aimait partager la couche.

Le Démon rouvrit lentement ses yeux. Entre ses doigts qui n’avaient guère relâché leur étreinte, il put sentir la légère chaleur de l’Ange. Constatation qui le fit sourire avec un certain amusement. Il n’avait guère quitté le corps encore brûlant, demeurant en lui et le conservant contre le mur. Ses lèvres glissèrent dans le cou qu’il mordit afin d’y laisser une marque, remontèrent lentement sur sa mâchoire pour venir caresser une oreille du bout de sa langue avant d’y murmurer.

— Ton corps est un délice, Azriel. Comme par le passé, petit Ange… une pure délectation.

Peu à peu, il le relâcha et, accompagnant le mouvement, le laissa glisser contre le mur de la remise. Gardant son visage dans son cou, il ronronna de plaisir à son oreille et glissa une main dans le dos de l’ange de la Foi qu’il caressa doucement.

L’esprit de l’ange était… blanc.

Comme vidé par la soudaineté de l’orgasme auquel il n’était pas préparé et qui pourtant, insidieusement, avait remué quelque chose en lui. Quelque chose qu’il mit sur le compte de son innocence et de sa pureté désormais irrémédiablement teintées du souffre des Enfers et du stupre brûlant que leur Prince avait déversé en lui dan un dernier assaut vindicatif.

Gourd de plaisir comme d’épuisement le corps de l’ange frissonnait pourtant de chaleur ainsi que d’une légère fièvre qui devait porter son corps à une température presque humaine maintenant. Rien de comparable avec l’étau brûlant et ronronnant qui s’imposait toujours sur et dans son corps et donc il sentait les lèvres glisser dans son cou. Il ferma les yeux, puis les rouvrit en tressaillant lorsqu’il sentit la morsure de ses crocs. Une fraction de seconde il se demanda si le démon n’allait pas tout simplement l’égorger maintenant qu’il avait eu ce qu’il voulait car s’il avait précisé qu’il ne ‘baisait’ pas les cadavres maintenant qu’il était bien baisé et en profondeur – Oh mon Dieu d’où lui venait ce vocabulaire ? – le doute était plus que permis.

Le démon libéra pourtant son cou pour venir taquiner de nouveau une de ses pauvres oreilles alors qu’il portait en tremblant d’épuisement une de ses mains à sa blessure. Ses ailes qui jusqu’alors pendouillaient de part et d’autre, inutiles, furent lentement repliées puis rangées par l’ange gardien qui essayait de remettre un peu d’ordre dans sa tenue comme dans ses pensées. Il se figea lorsque le sens des paroles soufflées par le démon lui parvint enfin, par delà le voile blanc de choc et d’incrédulité qui les nimbait toujours, ancrant dans son esprit les prémices de l’horreur qu’il avait jusqu’alors vaillamment combattu en refusant de céder au désespoir.

— Comment ça… Comme par le passé ? coassa-t-il avec difficulté, sa gorge affreusement sèche rechignant à se plier à l’exercice périlleux du langage parlé.

Il se raccrocha au corps du démon lorsque celui-ci le reposa plus ou moins, ses cuisses trop longtemps malmenées dans une position à laquelle elles n’étaient pas habituées se refusant à le porter. Il frémit de nouveau lorsqu’une main dont le contact lui était désormais insupportable lui caressa le dos et alors que le démon ronronnait comme le gros félin content qu’il était. L’ange quant à lui était secoué de sentiments bien moins paisibles, alliage d’incompréhension et de choc de bestiole traumatisée qui si elle n’avait pas été de la Foi aurait très certainement fini par craquer nerveusement dans les bras de son agresseur.

Il n’arriverait jamais à comprendre les démons, jamais.
Comment pouvait-on prendre du plaisir dans la souffrance d’un autre être vivant ? Bien qu’étant de camps opposés Azriel n’avait jamais nourri de sentiments négatifs à l’encontre des déchus comme des démons qui peuplaient l’En-Bras tout comme il ne lui serait jamais venu à l’esprit d’en torturer de plus faibles que lui parce qu’ils étaient ennemis.

Las, nu et frissonnant de fièvre comme d’épuisement il n’avait plus qu’une seule envie : quitter au plus vite les lieux pour rejoindre une église et s’y réfugier pour y puiser réconfort et soutien dans la prière. Il ressentit une bouffée d’amour pour son Créateur lorsque cette pensée se formalisa dans son esprit ; Il avait été avec lui par delà le bouclier de la pollution et lui avait tenu la main pendant l’épreuve subie.

— Je peux récupérer mes livres… Et y aller… ? s’enquit-il, avant de rajouter : s’il vous-plait…

Partir, juste partir aussi vite que ses forces déclinantes et ses jambes flageolantes le lui permettaient parce que caresses comme ronronnements lui faisaient redouter que le démon à la vigueur désormais démontrée veille remettre le couvert, ce qu’il n’était pas sur de réussir à endurer physiquement sans y laisser plus que des plumes. Il relâcha son cou et posa une main tiède et poisseuse de sang sur le torse démoniaque pour tenter de le repousser.

Il aurait pu le laisser partir. Il aurait pu… si seulement Azriel n’avait pas, justement, émis ce souhait de lui-même. L’esprit retord, pervers et malsain du Démon fonctionnait à plein régime. Un sourire torve et carnassier ourla les lèvres démoniaques alors qu’un léger grondement amusé venait doucement résonner dans sa gorge. Le laisser partir ? Il ne le ferait que lorsqu’il en aurait décidé ainsi. Lui-même. Certainement pas en obéissant au désir d’un petit Ange de la Foi qui voulait retrouver sa liberté. Sa langue passa sur les traces de sang conservé sur ses lèvres, évitant toutefois de s’en nourrir. Le sang des Anges n’étaient absolument pas bon pour sa santé aussi bien mentale que physique.

— Oh non, petit Ange, murmura-t-il d’une voix suave et teintée de Luxure, il est encore trop tôt pour que je te laisse partir maintenant. J’ai encore tellement de choses à te faire découvrir que tu n’imaginais même pas ; ou plutôt, que tu ne voulais pas voir.

Son visage se glissa de nouveau dans le cou de sa victime. Ses lèvres remontèrent lentement le long de sa mâchoire. Ses dents mordillèrent le cartilage tendre d’une oreille. Son bras dans le dos descendit lentement au niveau des reins pour le tirer soudainement vers lui, l’obligeant à s’allonger sur le sol de la remise où ils se trouvaient. À présent, le Prince des Enfers surplombait entièrement la frêle créature tremblante. Ses yeux semblaient la dévorer du regard alors que son sourire carnassier pouvait presque l’apparenter au grand méchant loup sur le point de dévorer l’agneau perdu du troupeau du Berger.

— Tant de chose que tu ne pouvais soupçonner, Azriel, et qui a été l’une des accusations portées au puissant Lucifer.

Rébellion, pratique des péchés interdits, endoctrinement d’Anges dans ce « mal »… nombreux étaient les vices dont on avait accusé le Porteur de Lumière, l’Etoile du Matin. Mais n’était-il pas, si justement, ce guide ? Lui qui avait mené les siens vers une vie nouvelle et qui en avait payé amèrement le prix.

Sans le moindre scrupule, le Démon se pencha de nouveau vers l’Ange prisonnier de ses « entraves » pour mieux le dévorer encore. Second round, troisième round… il s’en fichait et ne comptait pas. À ce niveau, seul comptait son propre plaisir. Néanmoins, il fut plus « doux » que la première fois afin d’éviter de briser l’Ange alors qu’à maintes reprises, lorsqu’il ferma ses yeux, il murmura le nom du Déchu d’une voix trouble et profonde, enlaçant dans le même temps Azriel dans une étreinte chaude et douce à la fois. S’il venait de superposer plusieurs fois l’image de Lucifer à celle de l’Ange de la Foi, il n’en fit aucune mention lorsque le calme revint enfin dans la remise de la bibliothèque.

Rhabillé, il farfouilla rapidement dans l’endroit pour y dénicher un pull trop grand mais qui ferait l’affaire et qu’il donna à l’Ange afin de dépanner contre le T-shirt en lambeau. Encore heureux que le jean était toujours en un seul morceau, il n’aurait pas pu lui donner de pantalon pour compenser. Il attendit que l’Ange ait remis de l’ordre dans sa mise et récupérer ses livres pour ensuite l’accompagner hors de la bibliothèque. Là, il resta dans l’ombre de la porte qui ouvrait sur l’extérieur, un sourire amusé aux lèvres alors qu’il soufflait la fumée de la cigarette qu’il s’était allumé.

— Prends garde, petit Ange : il se pourrait que je ne sois pas le seul à vouloir te faire découvrir les plaisirs de la chair. Et, parfois, les Démons ne sont pas les pires.

A partir d’un certain point, les nombres perdaient toute substance, leur signifiant tout comme leur sens s’étiolant en minces volutes de concepts indéfinis, vagues, aussi tremblotants et indistincts que ces images entraperçues du coin de l’œil qui disparaissent sitôt qu’on tente de les regarder en face. Ainsi, l’ange ne savait pas ou plus combien de fois il avait eu à endurer les assauts du Prince des Enfers. Beaucoup. Plus de chiffre, plus d’exactitude, ne restait plus que cet adverbe imprécis qui offrait aussi bien une forme de réconfort pour son esprit mis à mal à qui le flou artistique était aussi salutaire qu’affreux par ce qu’il signifiait.

Il avait tout enduré, tout. Se refermant sur lui-même et se recueillant dans la prière pour repousser l’horreur et l’incompréhension, allongé sous le corps du démon qui le surplombait et malmenait ses entrailles sans qu’il n’essaye plus de s’en défaire car il était déjà trop tard pour lui ; le démon l’avait déjà souillé et le peu de force qu’il lui restait il préférait le concerver pour être en mesure de se relever ensuite et de continuer, encore et encore à porter le flambeau de la Foi, lui qui avait été soumis à l’Adversaire et s’en était sorti.

Beuh…
Enfin sorti…

L’ange rendit un regard un peu éteint au démon qui s’en grillait une tout en refaisant sa longue tresse d’or, avec un soin et une lenteur appliquée dans ses gestes qui restaient empreints de cette grâce que même le tremblement d’épuisement ne parvenait pas complètement à dépareiller. Il le regarda un long, long moment, des pensées trop fugaces pour être saisies par l’Archidiable tourbillonnant dans son esprit malmené. Incompréhension déjà. Le geste de Satan, qui lui avait refilé un pull pour qu’il puisse rentrer sans attirer les regards sur lui tout comme ses paroles obscures le plongeaient dans un océan de perplexité. Dénué de toute malice, l’ange y aurait sans doute vu une certaine forme de compassion ou de pitié si Satan avait été homme et non démon. Là, il se demandait s’il essayait de distiller en lui une autre forme de poison avec ses mots et si le pull offert n’était pas tout simplement un moyen de s’assurer qu’il reviendrait en personne rapporter ses livres en plus du vêtement. Un geste de miséricorde pour le supplicié sans doute entaché par de bien sombres desseins dont il préférait à la limite ne pas trop en savoir les tenants et les aboutissants… Au-delà de l’incompréhension il y avait la peur que la proximité de la créature lui inspirait, mais cette même peur était assourdie par son épuisement, son hébétement et une certaine forme de pragmatisme ; le démon s’était déjà bien amusé avec lui et s’il décidait de le zigouiller eh bien soit…

Et par delà ces sentiments de surface, bien, bien au fond et brouillé par toute la mélasse qui le recouvrait, l’ange qui était tout sauf rancunier était triste pour son agresseur. Et cette tristesse n’avait pour une fois rien à voir avec l’éternelle histoire de ne pas vivre dans l’Amour de Dieu mais bien pour la peine et la détresse qui avaient exsudés du Prince des Enfers à chaque fois qu’il avait appelé Lucifer.

Il frissonna.
De chaud, de froid, de fièvre.

Il n’avait obtenu aucune réponse à ses questions et savait qu’il serait vain d’en attendre. Il relâcha sa natte enfin refaite, se passa une main sur le visage, redressa les épaules et après avoir salué le démon d’un hochement de tête il s’en fut en boitant bas. Pas assez d’énergie pour soigner les affres de son corps, qui devrait endurer en attendant qu’il reprenne des forces.