‘Fais le tour’ qu’il avait demandé.

Eh bien il avait été exhaussé et le dragon n’avait eu aucun mal à faire le tour, le détour et le retour parce que Mexico était dans un tel était de désorganisation après le tremblement de terre que la plupart des axes routiers avaient été tout bonnement fermés à la circulation et lorsqu’il avait constaté que pour rejoindre l’appart’ cela risquait de prendre des heures il avait opté pour une autre solution et avait tiré sa sirène pour exiger le passage là où ses collègues maintenaient un blocus à tout ce qui n’était pas ambulance, véhicule de pompiers ou des forces de l’ordre.

Si certains demandèrent à l’inspecteur ce qu’il foutait avec un Cavalera apparemment inconscient il se contenta de leur dire qu’il avait été secoué et intoxiqué pendant leur enquête, tout comme il leur annonça qu’ils avaient perdu et l’équipe de légistes, et la scène du crime avec son cadavre. Sale journée pour Mexico, les flics n’avaient pas posés plus de questions, des affaires bien plus urgentes que cet étrange équipage requérant leur pleine attention et ils furent tous salués et accompagnés de vœux de bon courage du dragon qui était content de ne pas être à la circulation. On lui refilait les cas foireux mais au moins n’avait-il pas à faire le clown dehors en pleine ligne de mire des possibles tueurs d’hybrides qui grouillaient à Mexico, comme attirés par la masse de plus en plus impressionnante d’immortels qui s’y réunissaient.

Ils mirent tout de même une petite heure et demi pour rejoindre le quartier résidentiel et l’immense immeuble dans lequel son ‘contact’ avait établi sa tanière terrestre. Contact qui ne s’était pas privé pour lui envoyer un texto en lui demandant ce qu’il foutait, texto auquel il n’avait bien entendu pas répondu étant donné qu’il était en train de conduire sur une route plus que merdique avec des gravas partout. Lorsqu’il entendit le changement de respiration indiquant qu’Abedon revenait à lui il lui posa une main sur le front à la limite des yeux.

— Garde tes paupières fermées Abedon, nous sommes presque arrivés. On a eu un accident sur la chaussée, ne fais pas de gestes brusques le temps de bien revenir à toi.

Il se gara à l’écart et alla récupérer son paquet à la place du mort, s’assurant au passage qu’il gardait bien les yeux fermés. Il le guida ensuite d’une main sur l’épaule jusqu’aux portes de l’immeuble et le fit grimper devant lui dans le vaste ascenseur.

Il grimaça lorsque la voix lâcha dans un espagnol féminin et chaud qu’il les conduisait au trentième étage mais d’un certain côté cette information n’était pas si critique que cela. Cela réduisait certes drastiquement le périmètre de recherches si jamais Cavalera décidait de les retrouver puisqu’il n’y avait pas beaucoup de très grands immeubles à Mexico mais au moins elle ne trahissait rien d’autre…

— Nous y sommes, dit-il en appuyant sur la sonnette d’entrée.

Il avait les clés, certes, mais Cavalera n’avait pas besoin de savoir qu’il vivait avec l’immortel qui viendrait leur ouvrir, tout comme il lui faisait confiance pour ne pas lâcher cette information. L’odeur sulfureuse était bien trop puissance pour que la sienne de dragon soit décelable dans l’appart’ tout comme il était lui-même trop barbouillé de sang et d’autres odeurs de cadavres pour qu’on puisse la relever sur lui.

Un sourire en coin, presque féroce ourla les lèvres du dragon lorsque la porte s’ouvrit devant eux sur la haute stature de son contact.

— Salut Jack, désolé pour le retard on a eu un petit accident, dit-il en guise d’introduction en poussant Ab devant lui. C’est bon Cavalera, tu peux ouvrir les yeux.

La porte s’ouvrit sans attendre sur un homme à la chevelure d’un noir de jais et aux yeux aussi noir que les ténèbres. Surprenant, n’est-ce pas ? « Jack » était une identité que le Prince des Enfers possédait depuis quelques années déjà. Le physique allait avec le nom. Un physique qui ne trahissait nullement le sien. La longue tignasse aussi écarlate que le sang humain avait été remplacée par une perruque aussi noire que l’obsidienne. Le regard si peu commun, de cette couleur pourpre et sanglante, écho de ses cheveux était à présent masqué par des lentilles aussi profondes que les ténèbres.

« Jack Daevon » était ce que l’on appelait un amérindien. D’ailleurs, rien en sa personne ne pouvait suggérer le contraire.

L’homme s’écarta donc pour laisser passer le Dragon qui seul pouvait comprendre le subterfuge dont faisait preuve le Démon. Après tout, le charmant inspecteur l’avait appelé « Jack » aussi bien il y a à peine quelques secondes que dans ses messages. Un mot simple mais qui pouvait tout dire pour le démoniaque souverain : danger.

— Cavalera, hein ?

Même sa voix était modulée pour être différent de la sienne d’origine. Un timbre, certes profond, mais beaucoup moins grave et puissant que l’originel. Un jeu de dupes et de masques que Satan s’était pris à expérimenter et à ajuster au fur et à mesure de ses déboires dans le monde humain. Les yeux noirs dévisagèrent le garçon blond comme les blés. Il peina à retenir une grimace de dégoût face au prototype masculin de la poupée Barbie qu’il avait devant lui.

Que le gosse ouvre les yeux ou non… à dire vrai, cela ne changea absolument rien. Le Démon ne lui en laissa nullement le temps. Le tranchant de sa main s’abattit au niveau de sa nuque et de ses cervicales, frappant net et prompt. Il ne le tua absolument pas, il aurait suffit qu’il apprenne à sa tête à faire un tour à 180°. Non, il fit en sorte de l’évanouir. Une chose qui marcha très bien mais qui, aux yeux du Prince des Enfers, ne suffisait pas. Il n’attendit nullement que le Dragon râle ou riposte pour une quelconque remarque et se rendit sans attendre à la salle de bains. Il en revint avec une seringue de calmants qu’il administra à l’exécuteur.

— Deux précautions valent mieux qu’une, marmonna-t-il en guise d’explication à Christobalde. Et même trois et quatre, d’ailleurs. Détruis son téléphone. Il doit bien avoir un cellulaire. Tous les gosses en ont un, maintenant. Détruis tous ce qui te semblent louches.

Sur ces mots, il retira toutes les fringues - absolument toutes ! - de l’exécuteur, le laissant uniquement en boxer sur le sol froid du hall d’entrée. Fringues qu’il lança ensuite au Dragon avant de jeter le môme sur une épaule comme s’il s’était s’agit d’un sac de pommes de terre non sans l’avoir fouillé au préalable. On ne savait jamais, des fois qu’il cache des lames de rasoir à la place de son entrejambe. Chose faite, il alla enfermer à double-tour le garçon dans les toilettes. Aucun objet qui pouvait constituer une arme ne s’y trouvait. Il avait même retiré le désodorisant. Pas même un hublot n’avait sa place, la configuration du duplex ne s’y prêtait pas.

Ce n’est donc qu’une fois ayant pris toutes ces précautions que le Démon revint vers son Lié qu’il dévisagea. Il conserva toutefois perruque et lentille. Lié qu’il entraîna avec lui vers l’étage inférieure. La discussion ne serait audible que d’eux seul.

— Alors ? Tu peux m’expliquer enfin ce qu’il se passe, nom d’un chien ?

[HJ – J’inaugure la nouvelle limite à 300 x3]

— Cavalera, en effet, avait répondu l’inspecteur avant de regarder le Prince des Enfers faire étalage d’une paranoïa et d’un sens de la précaution encore pire que le sien lorsqu’il était dans ses jours sombres. Aucun commentaire n’échappa à l’hybride, pas une seule fois il n’essaya de s’interposer à ce que foutait le démon et il alla même docilement récupérer le téléphone portable de l’Abbâdon planqué mais au lieu de le détruire il se contenta de le désactiver et de vérifier qu’il n’avait aucun gadget permettant de le géolocaliser en plus du GPS intégré.

Pourquoi ? Parce que c’était sans doute trop tard et qu’à la base, même si Satan faisait preuve d’une débauche de précautions il était venu ici pour trouver un moyen de coincer le Bête sans forcément se mettre à dos son porteur ou le zigouiller. Enfin. A la base. Satisfait de son examen il posa le portable, les papiers d’identité et les cutters trouvés dans les fringues sur le reste du tas de l’armurerie du jeune homme, de nouveau impressionné par tout ce qu’il pouvait trimbaler sur lui. A côté, il faisait vraiment petit joueur avec son holster et ses trois poignards.

Lorsque le démon revint après avoir carrément enfermé le gosse à poil dans les toilettes il lui offrit un long regard, de ceux qui ont l’air de sérieusement se poser des questions sur ce qu’il convient de dire en pareille circonstance. Cela ne dura pas ; le dragon relâcha ses grandes ailes sombres en soupirant de soulagement, les garder planquer le fatiguait et lui tapait sur les nerfs à terme, or il avait eu une journée déjà bien chargée.

— J’espère qu’il est orgueilleux, ça le flatterait toutes tes précautions, là, commenta le dragon une fois au salon avec son lié en esquissant un léger sourire.

Il attrapa son pied blessé pour se remettre une fois de plus les orteils dans le bon sens en espérant que les os se ressouderaient vite et pesta silencieusement contre la perte de sa godasse, parce qu’il allait devoir faire du shopping pour se dégoter une nouvelle paire et qu’il avait juste horreur de ça. Tout en faisant ça, il entreprit de lui répondre.

— Il se passe que c’est le porteur d’Abbâdon, la Bête de l’Apocalypse. Je le sais parce qu’il s’est manifesté pendant le tremblement de terre. Il m’a fait tout un speech à base de confiance et d’entraide… Le dragon eut l’air vraiment surblasé et entreprit de rapporter par le menu la ‘conversation’ qu’il avait pu avoir avec Abbâdon, et Abedon ensuite pour que le démon ait toutes les pièces du puzzle.

— … donc, j’en suis arrivé à la conclusion que ce serait sans doute mieux de réussir à le sceller que de le tuer, parce que mort l’Autre n’aurait qu’à lui trouver un nouveau bocal tandis que sceller, ça le fera chier beaucoup plus longtemps. Et c’est là que j’ai besoin de ton expertise, parce que je ne sais pas du tout comment procéder…

Mieux valait être paranoïaque dans le cas présent que de faire des erreurs qui lui coûteraient beaucoup ensuite. On n’était jamais trop prudent. Avec ses millénaires d’expérience derrière lui, le Prince des Enfers était le mieux placé pour le savoir et, de toutes évidences, le Dragon aussi. Au moins, il était à présent bien tranquille et n’avait rien à craindre. Théoriquement, bien sûr. On n’était jamais à l’abri de quelques crises que ce soit. Larmes ou nerfs, il y en avait pour tous les goûts et si l’exécuteur ne voulait pas finir en carpaccio, il allait devoir faire profil bas.

Le Démon prit ensuite place dans le fauteuil et dévisagea un moment l’inspecteur, remarquant qu’il avait de sacrées blessures et un bon paquet d’égratignures. Il gronda. Cette journée ne lui disait absolument rien qui vaille. Mais alors vraiment pas.

— Le porteur de la Bête, rien que ça ? Ils ont fumé quoi, chez les exécuteurs, pour engager un gosse pareil ? Il me semblait pourtant qu’on n’y entrait pas dans un moulin, même pistonné.

Mauvaise humeur oblige, le maître du monde souterrain ne se gênait absolument pas pour la rendre presque contagieuse. Son aura écarlate courait sur sa peau comme de la fumée dansant dans l’âtre d’une cheminée. Ses yeux écarlates dévisagèrent un moment le Dragon en face de lui.

— Le sceller ? Le tuer me paraîtrait une idée bien meilleure et radicale et on serait tranquille pour un moment avec une apocalypse enraillée pour les vingt prochaines années. M’enfin, passons.

L’odeur de sang du Dragon lui chatouilla délicatement les narines, le faisant grogner. Il se leva tout en se mordant le poignet jusqu’au sang et balança des gouttes écarlates sur les plaies de son Lié. Le sang démoniaque pénétra aussitôt les blessures dont la cicatrisation s’accéléra à vue d’œil. Satisfait, le Démon lécha son propre sang.

— Bon, on disait quoi ? Ah oui, la blondasse. Je le sens mal ton coup. Quelque chose me dit que ça va m’attirer de grosses emmerdes et pas des moindres. Surtout que l’autre (parlant de la Bête) ne contera absolument pas se laisser faire et je tiens pas à refaire des travaux dans mon duplex, si tu vois ce que je veux dire.

Tout aurait pu bien se passer.

La journée avait été assez foireuse comme ça, entre le djinn bouffé par un démon, le tremblement de terre, l'apparition surprise d'Abbâdon, le kidnapping d'un Exéctu-mafieux qui risquait de lui coûter ses quelques dernières années de vie s'il merdait quelque part pour qu'il s'estime bon là niveau crasses pour la journée et qu'éventuellement il puisse se dire qu'il pouvait baisser sa garde et se calmer doucement.

Mais noooon !

Alors qu'il allait répondre que de toute manière ils étaient dans la merde depuis le début ce crétin de démon qui aurait mieux fait de rester une enflure et de ne SURTOUT pas avoir de geste généreux envers lui lui démontra qu'il avait eu tort de baisser sa garde en lui balançant une giclée de son sang à la gueule. Enfin au pied, mais même là ce n'était pas encore assez loin pour que les reflets chauds et envoûtants ne viennent lui chatouiller les narines et éveiller ses appétits. Pourtant jusqu'à présent leur association lui allait très bien : ils se démerdaient chacun de leur côté en se distrayant de leurs journées chiantes par texto tendancieux interposés et le soir il servait de bouillotte à démon, lui roulant de temps en temps une pelle pour maintenir ses batteries sataniques à un niveau acceptable.

Et là, en un geste pourtant charitable - la bonne blague - à la base le démon venait sans le savoir de le plonger de nouveau dans la tourmente.

Sang.
Trop.De.Sang.

Il avait baigné dedans toute la journée, luttant contre ses instincts pour parvenir avec grande difficulté à se calmer et là tout était de nouveau à refaire. Il eut un mouvement de recul, les muscles crispés, les pupilles dilatées puis se redressa vivement en chancelant, manquant renverser un fauteuil dans sa précipitation.

— Je reviens, s'entendit-il dire d'une voix rauque avant de filer à la salle de bain dont il claqua la porte derrière lui avant de se précipiter vers la douche qu'il alluma aussitôt.

Froide.
Très froide.
Pour calmer ses ardeurs et dissuader un potentiel démon trop curieux de venir l'emmerder.

Une minute.

Une minuuuuuuuuute.

Un large sourire étira les lèvres du démoniaque maître du monde souterrain. Un ronronnement appréciateur s’éleva dans sa gorge alors qu’il voyait le dragon filer en quatrième vitesse vers la partie supérieure du duplex et, plus exactement, vers la salle de bains comme il en entendit si bien la porte claquer. Son côté emmerdeur chronique darda le bout de son nez, le faisant sourire davantage. C’était tentant. C’était juste trop tentant pour qu’il laisse filer une occasion pareille.

Fort heureux de cette découverte plutôt très agréable et bienvenue, le Démon se leva et s’étira avec la lenteur et la lascivité d’un gros fauve content d’avoir trouvé une proie à ferrer et prenant tout son temps pour l’acculer et la dévorer.

Époussetant ses vêtements dans un geste machinal et noble, il prit tranquillement la direction des escaliers qu’il monta d’un pas nonchalant. Arrivé dans le couloir, il se rapprocha de la salle de bains dont il ouvrit silencieusement et soigneusement la porte. Il plissa légèrement le nez en percevant l’odeur de l’eau froide mais qu’importe. Mieux, l’eau froide pouvait même apporter une touche supplémentaire à sa traque. Si le charmant Dragon dont il voyait le corps nu s’amusait à lui balancer l’eau froide à la figure, cela ne ferait qu’un pion de plus qui avancerait sur l’échiquier.

Sournois ? Vous avez dit sournois ? Allons, vous êtes encore bien loin du compte.

Évitant de trop s’attarder à tergiverser mentalement, le démoniaque Prince des Enfers rouvrit la plaie qu’il s’était infligé et, se glissant derrière Christobalde, glissa le poignet ensanglanté contre les lèvres du Dragon.

— Tu es plein de failles, mon cher Lié, quand tu es en état de faiblesse.

Il sentait l’eau froide. Il sentait sa température baisser de plus en plus mais ne lâcha nullement le Dragon. Il suffisait qu’il tende la main pour changer le débit d’eau mais… il ne le fit pas. Pas tout de suite, en tout cas. Pour l’heure, il avait encore assez de ressources pour lui permettre de tenir debout.

Pour l’instant.

Nonnonononononon !!

— Dégage ! gronda sourdement le dragon en se raidissant complètement, la voix rauque et les muscles tendus par l'effort surhybride qu'il fournissait là pour résister à l'appel du sang de son Lié, sang qui lui barbouillait les lèvres et lui saturait les sens.

Il s'en était douté : c'était pas pour rien qu'il avait ouvert en grand l'eau froide, mais Satan le maître-es Emmerdeurs, des milliers de fois décoré et récompensé pour le titre de fourbasse infernale ne s'était pas arrêté à cette simple barrière glacée, fidèle à lui même et à sa sulfureuse réputation.

Noooon.
ça aurait été troooop facile et il pesta mentalement contre les Enfers et ses damnés, ne pouvant même pas lui dire d'aller au Diable puisqu'il le portait en lui.

Donner le change, rattraper le cri du coeur qu'il avait eu et ne surtout pas penser à ce que cela lui inspirait. Satan s'était habitué à un dragon mourant à la libido éteinte, pas besoin, vraiment, qu'il se voit confirmé que le sang pouvait jouer aux nécromanciens et rappeler d'outre-tombe le jeune hybride fougueux qu'il avait été il y avait bien, bien longtemps de cela.

Plaqué désormais contre le mur de la douche pour lui bloquer d'accès à son entre-jambe s'il lui venait à l'esprit d'essayer d'en vérifier l'état, il rangea ses ailes pour qu'elles ne trainent plus dans le Satan en lui collant d'irrépressibles frissons, les doigts crispés sur le carrelage humide qu'il aurait sans doute lacéré s'il avait eu des griffes.

Et en apnée.

— Tu vas avoir froid, dégage de là Satan on a une lampe à Bête dans les chiottes c'est pas le moment de tomber à plat, reprit-il de cette voix toujours aussi sourde et grondante qui se voulait posée et ferme.

Il ne releva pas le coup des failles, préférant éviter d'y songer pour qu'il ne puisse pas, là encore, lire quoi que ce soit à ce sujet dans son esprit, se focalisant sur des images d'Abbâdon furax qui déchiquetait la porte de sa prison et ravageait le précieux appartement de Satan pour l'inciter à lui foutre la paix.

Oh que si, oh que si, oooh que siiiiiii !!

Un grognement s’échappa de sa gorge bien vite suivit par un rire quand le Dragon lui hurla de se prendre ses clics et ses clacs et d’aller gentiment voir ailleurs s’il y était. Version polie et courtoise du simple « Dégage ! » qu’il avait eu droit, ne vous en déplaise. Mais c’était mal connaître le sulfureux Prince des Enfers et son côté emmerdeur chronique. Un véritable art de vivre. Si, d’ordinaire, le Démon se serait emporté sous la colère et aurait fait un massacre complet de la salle de bains, il n’en était rien.

Un ronronnement appréciateur vibra dans la gorge du démoniaque régent des Enfers. À défaut de lui donner accès à son entrejambe, Christobalde lui présentait une autre partie de son corps beaaaaucoup plus tentante. Petit cachotier, va.

Un large sourire appréciateur aux lèvres, le Démon se rapprocha de son Lié, essayant de passer outre le froid de l’eau qui coulait du pommeau de douche au-dessus de leurs têtes. Ses propres ailes sortirent de ses omoplates et vinrent former une sorte de parapluie au-dessus de sa tête. Il savait qu’il ne tiendrait pas longtemps mais c’était déjà cela. Sans scrupule et pouvant prétexter rechercher de la chaleur, Satan se colla contre le dos de Christobalde, posant son menton sur son épaule.

— Je m’en branle du gosse. S’il explose ma baraque, je le tue. Pour le moment, j’ai surtout un Lié qui est en train de me surprendre. J’te pensais coincé du cul, mon p’tit Chris’, ajouta-t-il en toute honnêteté et assez surpris.

Il fit une légère moue. Non pas à cause des actes du Dragon, mais à cause de l’eau qu’il sentait faire refroidir ses ailes. Ses mains partirent à l’exploration des hanches du dragon, caressant les cuisses fermes aux muscles nerveux.

— Sois sympa, Chris’… j’commence à geler, remets l’eau chaude.

Un long frisson secoua l'échine du dragon lorsque le démon tout froid vint se coller à lui, distillant par ce simple contact des envies aussi sulfureuses que proscrites. Un soupir, ténu, passa les lèvres de l'hybride qui fournissait un effort monstre pour ne pas se retourner et lui arracher ce qu’il avait de fringues pour le prendre sur place, sous l’eau froide. Sous la pression de ses doigts, le carrelage commençait à se fissurer, sans qu’il n’en ait conscience. Tout son être était engagé dans cette bataille qu’il ne voulait pas perdre, parce qu’il en connaissait l’issue.

Personne et encore moins un hybride ne se ferait jamais le Prince des Enfers ; s’il se merdait sur le contrôle là c’était lui qui se ferait prendre contre le mur de la douche…

Des images accompagnées de sensations, vieilles, très vieilles mais jamais oubliées nouèrent les entrailles du dragon lorsqu’il sentit les mains du démon glisser le long de ses hanches, foutant le feu à ses derniers remparts. Mélange de désir, de haine et d’une peur viscérale qui le fit trembler de la tête au pied. Sans rien dire, il agrippa le mitigeur de la douche qu’il tourna d’un geste sec et nerveux sur la température la plus chaude, conscient en dépit de sa position détestable, du sang comme des caresses qui le faisaient sombrer que s’il ne s’exécutait pas, le démon n’hésiterait pas à prélever sur lui la chaleur dont il aurait besoin pour se réchauffer.

Il ne sentit pas l’eau brûlante sur sa peau, percevant juste le bruit sourd de l’eau torrentielle sur le parapluie des ailes sataniques, les narines frissonnantes.

— Tu as ton eau chaude, laisse-moi partir, tenta-t-il de nouveau, la voix rauque, basse, une note presque suppliante nettement perceptible dans son intonation qui sonnait presque comme une question.

Une seconde, deux seconde…

Puis le coincé du cul émit un grondement sourd et guttural en se retournant violemment pour attraper le démon par les cheveux et de lui mordre les lèvres, avant de l’embrasser avec une sauvagerie et une faim qu’il n’avait jamais manifestée auparavant. Quelque part dans son esprit, un immense dragon violet rugissait de fureur et tentait de déployer ses ailes engluées de sang poisseux pour prendre son envol…

Le Démon ne s’était pas imaginé avoir autant d’écho positif de la part du coincé du cul qui ne l’était pas tellement, en fait, à en juger par ses réactions. Plus encore. Les images qui défilèrent dans l’esprit de son Lié firent darder en lui une envie toute nouvelle. Les tremblements de l’inspecteur lui mettaient la puce à l’oreille même s’il ne s’y attarda pas vraiment. D’une certaine manière, cela en était… délicieux et très appréciable. Les crocs du Prince des Enfers allèrent grignoter une oreille à sa portée, ronronnant toujours de plaisir dans son cou.

Ronronnement qui fut interrompu par un « Mwrôw » sonore lorsque l’eau froide fut remplacée par une chaude délicieusement chaude. Les grandes ailes se déplièrent pour lui permettre de se recevoir l’eau chaude sur la figure, de quoi remonter sa température qui avait commencé à bien baisser en dépit de ses efforts. Toutefois, il eut droit à une autre surprise. Pas des moindres, d’ailleurs.

Il eut un moment de bug lorsque son Lié fit soudainement volte-face pour l’embrasser. Non, pas l’embrasser… lui « rouler une pelle aussi sulfureuse que les Enfers eux-mêmes » était le terme plus exact et plus approprié à la situation présente. Le Démon en écarquilla ses yeux sous la surprise. Avant d’y répondre, bien sûr.

Sa langue donna aussitôt la chasse à celle du Dragon, l’entraînant dans une valse torride et terriblement enflammé qui en aurait certainement asphyxié plus d’un. Cela dit, le Christobalde s’en sortait à merveille. Un grondement sourd et divinement appréciateur résonna dans la gorge du souverain démoniaque. Ses crocs mordillèrent la langue chaude de l’inspecteur qu’il suçota doucement comme si… eh bien, comme s’il s’était s’agit d’une toute autre partie de son corps qu’il dégustait.

Les doigts appréciateurs du Démon glissèrent sur le corps du Dragon, ravi de voir de tels frissons qu’il ne soupçonnait pas naître sous cette peau dont il sentait rouler les muscles nerveux à chaque caresse. Un spectacle démoniaquement divin.

Un nouveau rugissement du dragon intérieur, qui se débattit de plus bel lorsque le baiser prit une toute autre tournure quand le démon se mit carrément à lui sucer la langue, cette espèce de fourbasse finie. Un gémissement sourd, rauque et profond s’éleva de sa gorge sans qu’il ne puisse le réprimer, ses mains comme animées d’une vie propre descendaient d’elles même vers la ceinture du démon alors que d’un geste il balançait cette foutue perruque noire qui lui était restée entre les doigts pour empoigner la crinière sang assombrie par l’eau bouillante qui les innondait.

— Je ne veux pas, coucher, avec toi… gronda-t-il, les yeux d’or liquide de fureur dans sa plus pure expression, libérée et déchainée par les pulsions contrariées qui ne demandaient qu’à s’exprimer, sans qu’il ne soit pour autant en mesure d’arrêter ce qu’il était en train de faire. La ceinture fut dégagée sur ses mots et la main de l’hybride plongea aussitôt pêcher la corne démoniaque dont il connaissait parfaitement les dimensions pour l’avoir eu dans le dos…

O.M.F.S !
Rectifications, dimensions au repos. Des images d’oubliettes et de salle de torture se surimposèrent aussitôt dans son esprit, aussi efficaces qu’une douche glacée. Le dragon eut un grondement étouffé, comme s’il venait de se prendre un coup de poing magistral dans la gueule et rompit le baiser, tentant de repousser le démon en y mettant toute sa force.

A la même seconde, les grandes ailes de ténèbres se déployèrent en grand, l’aura du dragon s’échappant en panaches noirs et lourds, rampant à la manière d’une nappe d’azote liquide à ses pieds à mesure que l’obscurité emplissait la cabine de douche du Maître des Enfers. Bientôt, seuls les yeux luisants, or et sang des deux protagonistes étaient encore visibles et quelque part dans l’esprit du dragon un clairon rageur, d’une violence phénoménale résonna alors que différents lieux se succédaient à toute vitesse, rendus flous par le shoot de sang, la peur et la frustration mêlés.

Quelque chose clochait. Une chose sur laquelle il n’arrivait pas à mettre le doigt, quelque chose qu’il peinait à définir. Le problème était qu’il ne pouvait pas se concentrer sur cette « chose-là ». Son esprit était bien trop obnubilé par autre chose, les vapeurs de luxure qui commençait à l’embrouiller et à lui déconnecter le cerveau ne l’aidaient absolument pas à se concentrer comme il devrait être. Surtout que la main du Dragon venait de gagner une certaine partie de son corps… qui commençait à s’éveiller.

Et c’est là que le problème trouva une véritable source dans la tête du Prince sulfureux.

Ses pupilles s’étrécirent soudainement même avec les lentilles qu’il portait. Il perçut les images danser dans la tête de son Lié. Des images peu agréables… et la réaction de Chris’ allait de paire avec cela. Sous le coup de la surprise, le Démon ne chercha pas à résister quand il se fit repousser. Il eut même un moment de blanc mental sans comprendre quoi que ce soit… hormis que le Dragon se retrouvait, à présent, face à un ancien traumatisme qui refaisait aussitôt surface.

La nappe ténébreuse qui prenait de plus en plus d’ampleur ne lui disait absolument rien qui vaille non plus. Mais il ne broncha pas, demeura parfaitement immobile. De la peur ? Le Prince des Enfers ne connaissait pas la peur. C’était autre chose. Une sorte de curiosité malsaine qui l’ancrait dans le moment présent. Jusqu’à… jusqu’à ce que les ténèbres les entourent complètement, qu’il ressente la détresse de son Lié, le cri puissant du Dragon qui l’aurait presque poussé à plaquer ses mains sur ses oreilles pour ne pas l’entendre s’il n’était PAS dans sa tête. Mais ce furent les différents lieux qui défilaient autour d’eux qui lui firent le même équivalent qu’un choc électrique.

— Putain, Chris’ !!

Il attrapa aussitôt le bras du Dragon pour le faire réagir. Et s’il le trouvait dans cette obscurité où seuls leurs yeux étaient perceptibles, il le secouerait pour le faire revenir sur Terre.

Si le dragon avait été télépathe, s’il n’avait pas été un foutu parano, si sa haine et sa méfiance envers les démons n’avaient pas été si bien ancrées en lui, s’il avait pu côtoyer Satan plus longtemps et avoir été en mesure de lui faire un peu confiance… Avec les si Mexico aurait été débarrassée des Exécuteurs et le monde de ces emmerdeurs de Veilleurs qui en voulaient à sa peau…

Si seulement…

Là, le geste du Prince des Enfers fut perçu comme une menace par l’hybride perturbé et aux abois qui avait été chassé toute sa vie. Ses mâchoires se serrèrent il se débattit avec violence pour tenter de se dégager de cette nouvelle entrave et ne trouvant pas à s’en défaire il usa de son dernier échappatoire, quelqu’en soit les conséquences.

La décharge d’énergie pure et de flot vital tourbillonna dans l’air saturé d’humidité et la cabine de douche fut instantanément plongée dans l’obscurité la plus totale ; un froid complet, l’absence même du Concept de Chaleur envahit l’espace une fraction de seconde alors que le dragon cessait tout simplement d’exister ici et maintenant, le Néant ravalant cette existence qu’il avait laissée échapper plus de milles ans plus tôt pour la recracher exactement au même instant, à plusieurs rues de là.

Pouvoir terrifiant qui à chaque utilisation consumait un peu plus de cette ligne de vie déjà bien entamée par le passage du Temps, pouvoir ultime qui ne lui avait jamais fait défaut et lui avait toujours permis de s’en tirer sans trop de casse, ce qui lui avait très certainement permis de traverser les âges depuis l’époque des invasions vikings jusqu’à aujourd’hui.

Les doigts de Satan se refermèrent sur du vide, les ténèbres se dissipèrent. Plus de dragon dans la douche avec lui, mais une image avait dû s’imprimer dans son esprit lorsque celui de son Lié s’était focalisée dessus : l’arrière salle de sa bibliothèque, plus précisément la porte menant aux Limbes. Cette image, et un vague sentiment d’incompréhension et de malaise dans la poitrine qui avait secoué l’hybride juste avant qu’il ne disparaisse…